Le "Poche" de la semaine: Jaume Cabré, "Confiteor"

"Confiteor" est un immense roman, exigeant, touffu, mais d’une richesse formidable. Du romancier catalan Jaume Cabré.

Duplat Guy
The university ancient Library. City of Graz. Styria. Austria
The university ancient Library. City of Graz. Styria. Austria

Chaque vendredi, La Libre sélectionne un livre paru en format "Poche" et vous en propose la critique

Confiteor" est un monument, un Himalaya, un chef-d’œuvre, une jouissance garantie pour tout amateur de vraie littérature. Il est impossible de résumer un tant soit peu la richesse de ces quelque 800 pages du romancier catalan Jaume Cabré, très bien traduit par Edmond Raillard. Disons qu’il s’agit des souvenirs qu’Adria Ardévol, devenu vieux, dans les premiers brouillards d’Alzheimer, adresse au grand amour frustré de sa vie, Sara, celle qui n’a cessé de lui revenir et de repartir. Il raconte son enfance à Barcelone, avec un père autoritaire, dirigeant un magasin d’antiquités un peu trouble, un homme d’une folle érudition qui exige de son fils qu’il connaisse au moins dix à quinze langues. Et une mère qui ne rêve que d’une seule chose : faire de son fils Adria, un violoniste virtuose qui jouera sur le trésor de la famille, un violon de Storioni, le rival de Stradivarius, réalisé à Cremone en 1764. Un violon qui est un des autres "héros" du roman.

Adria est un enfant mal aimé, ballotté par les ambitions démesurées de ses parents et qui n’a pour confident que ses petits indien et cow-boy. Il grandira, apprendra la vie, l’art, la déception, l’amertume, l’amitié avec Bernat. Le roman est rempli de surprises et d’émotions qui font le plaisir du lecteur. Adria découvre la face cachée de son père et, fort d’une thèse à Tübingen, devient professeur de "théories des créations artistiques et des histoires des idées".

Mais ce résumé ne dit encore rien, car à travers l’histoire d’Adria, au fil de sa pensée, ce sont cinq siècles d’Histoire qui surgissent par des raccourcis et courts-circuits. On retrouve le Moyen Âge, l’Inquisition et son cruel maître Nicolau Eimeric, le nazisme, les milieux juifs d’Anvers, le franquisme, le nazisme. Rudolf Höss, qui dirigeait Auschwitz, y discute avec le grand inquisiteur. Le médecin fou de Birkenau est réfugié au Vatican. On y développe les théories de la connaissance, de l’art, de la musique.

Compliqué ? Vous le croirez encore davantage si on ajoute que Jaume Cabré tisse son récit en passant parfois d’une époque à l’autre, dans une même phrase, sans avertissement. Et un personnage peut devenir un autre, le "je" devient "il" dans le même paragraphe.

Mais le miracle de ce roman, sa grandeur, qui a demandé huit ans de travail à l’écrivain, est que, pour peu qu’on reste très attentif, tout coule de source et tout nous rend plus intelligent.

"Confiteor" n’est pas à lire distraitement sur une plage, c’est un voyage formidable dans l’esprit d’un homme, d’une vie, dans le champ des cultures, dans la mer des drames qui ont ensanglanté l’Europe, sous la consolation de la nature et de la vue d’un monastère roman perdu dans les Pyrénées.

Il faut se laisser guider par Jaume Cabré, il nous ménage des respirations, des surprises. "Confiteor" montre que chaque vie est un tissu d’histoires mêlées, de souvenirs, de liens qui passent par des hommes et des femmes de toutes les époques.

Le professeur Adria disait à ses étudiants : "La réalité des choses de la vie ne peut être déchiffrée, approximativement, qu’avec l’aide de l’œuvre d’art, même si elle reste incompréhensible". Adria toute sa vie s’est posée la question du pourquoi de la beauté et du pourquoi "il est impossible de séparer cette question de la présence inexplicable du mal".

"Confiteor" vous laissera épuisé, nostalgique, mais heureux.

Guy Duplat

Jaume Cabré, "Confiteor", Babel, 920 pp., env. 12 €

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...