Le "Poche" de la semaine : Larry Tremblay, "L'orangeraie"

Paru en 2013 aux éditions Alto, à Québec, “L’Orangeraie” de Larry Tremblay vient de paraître en format poche.

Simon Geneviève
Le "Poche" de la semaine : Larry Tremblay, "L'orangeraie"
©D.R.

Chaque vendredi, La Libre sélectionne un livre paru en format "Poche" et vous en propose la critique.

Paru en 2013 aux éditions Alto, à Québec, “L’Orangeraie” de Larry Tremblay vient de paraître en format poche. Sept pays avaient acheté les droits de ce titre qui a notamment reçu le prix des Libraires et été finaliste du prix des Cinq Continents. Entre poésie et épure, c’est le destin de deux jeunes jumeaux pris dans la guerre qui nous est contée. Où il est question d’enfance, de sacrifice, d’âmes pures, de vengeance, de fanatisme et de héros.

Vous avez écrit de la poésie, des romans, du théâtre. Qu’est-ce qui détermine le genre qui va voir s’épanouir une idée, une histoire ?

C’est parfois mystérieux. "L’Orangeraie" vient d’une réflexion que j’ai amorcée à partir d’une de mes pièces de théâtre, "Cantate de guerre", qui elle-même est née d’une suite poétique. Ces trois œuvres sont liées entre elles par ma réflexion sur la guerre. Au départ, je voulais seulement écrire une suite poétique mais la poésie m’a emmené plus loin. Ce n’est pas toujours le cas. Et, étrangement, "L’Orangeraie" va être adapté au théâtre.

Un des jumeaux dit qu’il entend tout le temps des voix. Est-ce ainsi que l’écriture se forme dans votre tête ?

J’aime l’idée que nous ne sommes pas seuls en nous. J’ai une perception de la personnalité comme étant multiple et diverse. On se construit à partir des autres aussi. Derrière le "moi" se cachent beaucoup de choses. Un créateur est forcément seul pour créer mais il doit aussi accueillir en lui l’univers, le monde. Quand j’étais jeune, j’adorais jouer au théâtre car c’était comme si je mettais entre parenthèses ma propre personnalité pour en accueillir d’autres. Je m’ennuyais d’être seul. La création littéraire nous mène à créer des personnages d’âges ou de sexes différents. C’est une manière de mieux se connaître à travers des facettes plus difficiles, cachées, contradictoires, paradoxales.

D’où vous vient cet intérêt pour la guerre ?

J’écris depuis quarante ans, c’est un cheminement. "The Dragonfly of Chicoutimi", ma pièce la plus connue, met en scène un personnage qui se réveille après un accident et ne parle plus qu’en anglais sans l’avoir jamais appris. C’est très politique, c’est une métaphore du Québec francophone qui pourrait, après un traumatisme, se réveiller anglophone. J’ai beaucoup écrit sur l’identité. Le fait que "L’Orangeraie" s’ouvre sur l’ailleurs est un processus normal. On est dans une ère de globalisation : ce qui se passe ailleurs a des conséquences directes ici, et ce qui se passe ici a des conséquences directes ailleurs. Un artiste doit refléter ce réseau.

Des Israéliens viennent d’acheter les droits de "L’Orangeraie"…

Cela me touche beaucoup car l’action du livre peut se passer là-bas. Je n’ai vécu ni la guerre, ni aucun conflit ethnique. J’ai imaginé l’histoire sans effectuer de recherche, sans me préoccuper du Hamas, des chiites, des sunnites… Je me suis attaché au côté humain avant tout.

Dans le roman, vous vous posez la question de la légitimité de l’artiste : a-t-il le droit de parler de la guerre ?

En écrivant "Cantate de guerre", je me suis posé la question : moi, Québécois qui a toujours été si loin de la guerre, est-ce que je peux en parler crûment ? Et j’ai hésité. Ma réflexion a évolué. C’est difficile de se mettre dans une bulle, de dire que cela ne nous concerne pas. On ne peut plus se sentir protégé de manière égoïste. Et c’est le mandat de l’artiste de faire réfléchir. Est-ce que je peux le faire ? Je suis un écrivain de l’imaginaire… Il faut une certaine audace. Avant que l’œuvre n’existe, le roman vit dans la tête et on se sent usurpateur. Mais je veux amener le lecteur à réfléchir par la fiction, en approchant de très près quelques personnages, sans convoquer l’Histoire.

Larry Tremblay, "L'orangeraie", Folio n° 6139, 153 pp.


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