L’exil incarné par un récit singulier
Grand auteur pour adolescents, Xavier-Laurent Petit signe "Le fils de l’Ursari", ancré dans la réalité. Rencontre.
Publié le 07-09-2016 à 08h46 - Mis à jour le 13-06-2017 à 12h05
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/6QFUJNF7MJBYXAYP6GF2B3UJ4I.jpg)
La littérature pour adolescents se révèle plus complexe et plurielle qu’on le croit. L’"heroic fantasy", malgré des chiffres de vente mirobolants, n’est pas la seule, loin de là, à passionner les jeunes lecteurs. De bons écrivains creusent leur sillon au sein de maisons d’édition dont la politique d’auteurs porte ses fruits.
Que l’on songe à Geneviève Brisac, Olivier Adam, Chistophe Honoré, Marie Deplechin, Claudie Gallay ou Xavier-Laurent Petit dont le nouveau roman, "Le fils de l’Ursari" fera probablement parler de lui en cette rentrée littéraire. Aussi doué pour nous emmener en Amérique du Sud avec "Itawapa" (2013) qu’aux Etats-Unis ("Be Safe", 2007) ou encore en Bolivie sur les traces de ce formidable "Maestro" (2005), un roman aujourd’hui conseillé aux élèves de secondaire, il est de la trempe des écrivains voyageurs dont il s’inspire volontiers. Chacun de ses romans pour adolescents décrit un univers différent avec talent, souci du détail et de l’engagement. Comme on le verra encore dans "Le fils de l’Ursari", ce montreur d’ours toujours en mouvement.
Un vrai problème de société
A force d’être harcelée par la police, la famille de Ciprian abandonne son ours et part à Paris, en quête d’un certain paradis. La désillusion sera au rendez-vous, entre bouts de ferraille, palettes de chantier, chaises défoncées et chiens pelés qui se disputent un os… La description que fait l’auteur des nouveaux bidonvilles parisiens donne froid dans le dos. Suivront le cynisme et la cruauté d’une vraie mafia qui règne avec terreur et violence sur ce monde précaire soumis à une économie parallèle. Où la sœur de Ciprian, obligée de mendier dans le métro, apprend ensuite qu’elle doit payer cinq euros par jour pour la location de son bébé. Le fils de l’Ursari, heureusement, semble aussi appartenir à la famille des enfants résilients et l’auteur veille à offrir quelques moments de répit dans ce récit dont la force est d’aborder un vrai problème de société à travers une histoire singulière. Une manière d’incarner l’exil plus efficace qu’un alignement de chiffres.
Père au foyer
Après avoir étudié la philosophie, Xavier-Laurent Petit, né en 1956, devient instituteur et range son cartable à la naissance du premier de ses quatre enfants pour devenir père au foyer à l’époque, 1985, où ce choix était plutôt rare. Il était aussi lassé de l’enseignement et espérait déjà, entre deux panades et promenades au parc, trouver du temps pour se consacrer à l’écriture. Il franchit le pas en 1994, avec deux romans policiers publiés chez Critérion puis entre à l’école des loisirs avec "Colorbelle-ébène" qui obtient le prix "Sorcières" en 1996. Suivent d’autres romans pour la jeunesse, le plus souvent ancrés dans l’actualité, publiés à un rythme régulier. Aujourd’hui, chacun de ses enfants vit à l’étranger et les contrées lointaines qu’ils ont choisies nourrissent plusieurs de ces histoires. Sa carrière d’écrivain doit donc en quelque sorte beaucoup à ses enfants. "Je leur dédicace d’ailleurs presque chacun de mes livres. En temps que lecteur, j’ai beaucoup voyagé à travers la littérature. J’aime particulièrement ces atmosphères qui me mettent en dé calage par rapport au quotidien. Mais en plus, j’ai la chance d’avoir des enfants qui travaillent dans les quatre coins du monde. Et il est certain que lorsque mon fils m’emmène crapahuter trois semaines en Guyane, j’ai de quoi raconter. J’ai donc aussi en projet un livre sur l’Inde où se trouve ma fille et sur la Tasmanie."
Non content de s’inspirer de son vécu, Xavier-Laurent Petit se documente énormément pour chacun de ses livres. "Ce n’est pas juste pour le plaisir d’avoir un gros dossier mais aussi pour le scénario car il y a toujours un moment où la fiction et la réalité se nourrissent."
Une famille de Roms
Cette fois, l’auteur a mis le focus sur une famille de Roms, On ne peut pas s’empêcher, en outre, à la lecture du roman, d’établir un parallèle avec l’actualité et le campement décrit évoque la jungle de Calais. Pourquoi avoir voulu aborder cette problématique ? "J’habite Dijon et chaque fois que je viens à Paris, j’arrive gare de Lyon. Pendant des mois, j’ai vu une famille rom qui se trouvait là et dormait dehors, quel que soit le temps. Il y avait une très jeune fille qui avait un bébé dans les bras. Face à ce genre de situation, on éprouve toujours une sensation d’injustice, d’incompréhension et de gêne. Je ne leur ai jamais parlé mais je les ai vus et j’ai eu la chance d’aller en Roumanie. Je voulais aussi parler de ce chantage fait par la mafia dont le boulot est de profiter de l’immigration, de proposer un kit à émigrer comprenant le transport, les faux papiers, un soi-disant logement à l’arrivée. On avance l’argent puis les migrants doivent rembourser et la somme augmente s’ils n’y arrivent pas. C’est sans issue." Malgré tout, on quitte le livre avec une note d’espoir. "L’histoire de Ciprian est déjà assez sombre. Il importait d’avoir l’exemple de quelqu’un qui s’en sort malgré les difficultés qui surgissent de partout."
Le fils de l’Ursari, Xavier-Laurent Petit, l’école des loisirs, 271 pp., env. 15,80 €. Dès 11 ans.