Le si beau testament d’Henning Mankell
"Les Bottes suédoises", son dernier roman écrit quand il savait la mort proche, est superbe. L’espoir y domine, comme dans "Sable mouvant".
Publié le 10-10-2016 à 16h37 - Mis à jour le 10-10-2016 à 16h39
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/JGLQEXA3Z5B5JDGN4D2LJX5GSM.jpg)
"Les Bottes suédoises", son dernier roman écrit quand il savait la mort proche, est superbe. L’espoir y domine, comme dans "Sable mouvant".On ressent, bien sûr, un pincement au cœur en lisant le dernier roman d’Henning Mankell, "Les bottes suédoises". Il était sorti en suédois en juin 2015, quelques semaines à peine avant la mort du grand écrivain, en octobre, à l’âge de 67 ans. Le voilà aujourd’hui en version française et on peut y voir un testament, une réflexion romanesque sur la vie, la vieillesse et la mort.
En janvier 2014, souffrant d’un mal au cou, on découvrait chez Henning Mankell un cancer avancé au poumon avec métastase au cou. Il a raconté ensuite sa vie dans une belle autobiographie, "Sable mouvant", où il évoque l’enfant qu’il fut, les événements qui l’ont marqué, mais aussi l’avenir menacé de la civilisation et ce qu’il en restera dans quelques années. On y retrouve son séjour à Paris, sa rencontre avec les enfants des rues de Maputo, le spectre du nucléaire, le drame des réfugiés. Un livre marqué malgré tout par l’espoir. Avec cette dernière phrase : "Le rêve s’arrête là. Je me réveille presque toujours avec une sensation de légèreté. Tous ces gens qui m’entourent dans mon rêve et dans la vie n’ont rien d’effrayant. Ils suscitent ma curiosité. Qui sont-ils ? Il y en a tant et j’aurais tellement voulu les connaître."
L’auteur suédois de la célèbre série policière de l’inspecteur Kurt Willander avait deux amours : l’écriture de romans policiers avec son héros taraudé par tant de doutes et, d’autre part, l’Afrique, en particulier le Mozambique où il se rendait très fréquemment pour diriger le théâtre Avenida à Maputo. Il connaissait les ravages qui frappent ce continent, le sida mortel, et l’indifférence des Occidentaux, voire leur mépris mercantile, assoiffé seulement par les ressources du pays. "Nous savons tout de la façon de mourir des Africains, et presque rien de leur façon de vivre", écrivait-il.
Ecrivain à succès, prolifique et polymorphe, Henning Mankell écrivait aussi des livres très beaux autour de la solitude et de la rédemption. Peut-être y avait-il là une filiation avec le grand Ingmar Bergman dont il avait épousé la fille.
Cela nous avait valu son beau livre "Les Chaussures italiennes", grand succès populaire, livre aussi sur le froid, la paternité, la fin de vie, la faute et la seconde chance qui parfois s’offre et qu’il faut pouvoir saisir pour "réparer" ses fautes.
Fredrik Welin, 66 ans, ancien chirurgien, y vivait seul, au nord du Nord, sur une île de la Baltique avec son chien et son chat. Depuis douze ans, ses seules visites étaient celles du facteur qui dépose le courrier en avion. Il avait fui après une tragique erreur médicale qui a conduit à l’amputation d’une jeune femme. Il ne demandait plus rien. Son cœur s’était glacé jusqu’à ce que le destin revienne frapper à sa porte.
Dans son dernier roman, "Les bottes suédoises", écrit quand Mankell se savait condamné, sorte de suite aux "Chaussures italiennes", on retrouve Fredrik Welin quatre ans plus tard. Il a 70 ans et vit toujours, solitaire, sur son île de l’archipel. Il reste cet homme bougon, misanthrope mais très attachant qui n’hésite pas à aider les gens du village qui cherchent un médecin.
Le roman commence par l’incendie violent de sa maison auquel il n’échappe que de justesse. Un incendie criminel et mystérieux. D’autres incendies semblables vont suivre sur les îles. Fredrik doit chercher refuge dans la caravane laissée là par sa fille Louise qui a coupé tous les ponts avec lui.
La solidarité joue avec les habitants proches : le facteur Jansson, le policier Alexandersson qui enquête sur une éventuelle arnaque à l’assurance, Nordin, le gérant du magasin d’accastillage.
Cet incendie sera une porte ouverte à changer sa vie, à s’ouvrir à d’autres choses. Comme renouer avec sa fille et sa petite-fille. A revivre peut-être une histoire d’amour inespérée avec Lisa Modin, jeune journaliste venue enquêter sur ces mystérieux incendies.
On retrouve ici l’essence du thriller selon Mankell. Ce n’est pas la recherche d’un coupable même si, dans ce livre, le suspense est là et débouche sur une fin surprenante, mais le vrai thriller ce sont les interrogations sur la vie, la vieillesse, la mort, la seconde chance qu’on peut encore saisir.
"Les bottes suédoises" est un très beau roman nostalgique, d’une rare humanité. "J’ai bien peur de nourrir au fond de moi une sorte de ressentiment désespéré vis-à-vis de ceux qui vont continuer à vivre alors que je serai mort. Cette impulsion m’embarrasse autant qu’elle m’effraie. Je cherche à la nier, mais elle revient de plus en plus souvent à mesure que je vieillis."
Il explique que beaucoup de gens veulent voir les derniers autoportraits de Rembrandt, estimant que voir ceux-ci leur rend plus facile le passage vers la mort. "Je n’ai pas peur de la mort. La mort signifie qu’on est libéré de la peur. C’est la liberté même."
Les derniers mots de son dernier roman sont poignants : "L’automne sera bientôt là. Mais l’obscurité ne me faisait plus peur".
Dans ce grand roman, il y aussi la beauté crépusculaire des îles, des rivages fluctuants, où chacun est solitaire. Mankell a voulu terminer par ces paysages que, comme Bergman, il aimait tant. Mais avec cet espoir tenace où, même quand tout a flambé, on garde la force de reconstruire.
"Les bottes suédoises", Henning Mankell, traduit du suédois par Anne Gibson, Seuil, 354 pp., env. 21 €
"Sable mouvant", Henning Mankell, traduit du suédois par Ana Gibson, Seuil (2015), 368 pp., env. 21,50 €