"Désorientale" : La tragédie de la chute
Publié le 21-11-2016 à 09h01 - Mis à jour le 21-11-2016 à 11h14
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De l’Iran à la France, la trajectoire singulière d’une jeune femme qui affronte les désordres de l’identité. Sans doute inspirée par son vécu, Négar Djavadi signe une saga familiale d’une palpitante authenticité.A vrai dire, rien ne ressemble plus à l’exil que la naissance." Alors que se joue, dans un hôpital parisien, l’acte déterminant de son projet de maternité, Kimiâ revit l’étourdissant parcours des trois dernières générations de Sadr, marquées par la tragédie de la chute. "A travers le temps et la distance, ce n’est plus leur monde qui coule en moi, ni leur langue, leurs traditions, leurs croyances, leurs peurs, mais leurs histoires." Née à Téhéran, exilée à Paris, la jeune femme explore par là sa condition de déracinée, ses héritages, l’adaptation nécessaire pour s’implanter dans sa deuxième vie. "Car pour s’intégrer à une culture, il faut, je vous le certifie, se désintégrer d’abord, du moins partiellement, de la sienne. Se désunir, se désagréger, se dissocier."
Tout a commencé sur la terre prospère de Mazandaran, dans le harem où est née sa grand-mère. C’est d’ailleurs surtout à travers les femmes que se jouent filiation, transmission et résistance, cette dernière étant viscéralement inscrite dans leurs gènes. Darius et Sara, les parents de Kimiâ, l’éprouveront avec force - quand pour Sara l’action politique compte autant que la famille. Ces opposants au régime savent qu’ils évoluent sous surveillance. Mais ils ne trembleront jamais devant les menaces, même si in fine elles les forceront à fuir, en août 1979, par le Kurdistan jusqu’à Istanbul pour atteindre Paris. Ecartelée entre l’Iran de son enfance et la France de ses illusions, Kimiâ affronte une adolescence délicate, émaillée de rencontres déterminantes. Les failles et les fragilités sont évidentes, qui pourtant jamais ne l’empêchent de tracer son chemin. Les illusions ne tiennent qu’un temps - "[…] la liberté est un leurre, ce qui change c’est la taille de la prison". La musique rock est une révélation, presque une bénédiction. Et l’amour, bientôt, une conquête.
Magistrale plongée dans les méandres de l’identité jusqu’en ses versants sexuels, ode à l’intégrité de l’engagement, célébration d’une mémoire, "Désorientale" ravit par sa construction, son acuité, son écriture. Parcours familial et artistique, dates, texte porté par la première personne : les concordances portent à imaginer ce texte de Négar Djavadi autobiographique, d’autant qu’il porte en lui une vérité qui n’a rien de fictif. Une autre naissance s’est produite en ces pages : celle d’un écrivain.
"Désorientale", Négar Djavadi, Liana Levi, 349 pp., env. 22 €