Le poche de la semaine : "Les vrais durs", T.C. Boyle
- Publié le 08-12-2017 à 05h45
- Mis à jour le 08-12-2017 à 09h51
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Chaque vendredi, La Libre sélectionne un livre paru en format "Poche" et vous en propose la critique.
Le grand écrivain T.C. Boyle, dans son quinzième roman, parle du danger des grands mythes américains portés par cette droite extrême incarnée notamment par Trump : le droit inaliénable de porter des armes pour se défendre individuellement, la nostalgie des pionniers qui firent le pays, le culte de la force, le souci de vivre sans aucune contrainte de l’Etat.
Dans "Les vrais durs", T.C. Boyle montre que ces mythes engendrent une violence intrinsèque terrible et qu’on peut être pessimiste sur la capacité des Etats-Unis à pouvoir concilier encore leurs légendes fondatrices avec un futur dangereux et inconnu.
Le gros roman de TC Boyle (tous ses livres sont gros, parfois trop !) met en scène trois personnages. D’abord Sten, septuagénaire, ancien du Vietnam. Il est en vacances du troisième âge au Costa-Rica quand leur groupe est attaqué par un trio de jeunes armés qui veulent les dévaliser. Il devient un héros national à son retour en Californie car il a pu désarmer l’un d’eux par une clé de bras, le tuant au passage. "S’il avait eu le temps de réfléchir, écrit Boyle, il aurait eu honte, on le manipulait et, pire, on le célébrait non pour une quelconque vertu mais pour un acte de violence qui le tourmentait chaque fois qu’il fermait les yeux."
Le second personnage est Adam, son fils, son seul enfant. Un garçon très dérangé, drogué, alcoolique et, surtout, psychotique. Il se prend pour la réincarnation d’un trappeur mythique du XVIIIe siècle, John Colter (un vrai personnage qui a vécu de 1774 à 1813). Colter avait pu échapper aux tribus Blackfeet lancées à sa poursuite grâce à une course de plusieurs centaines de kilomètres ! Comme Colter, Adam voit, dans les Américains actuels, des "hostiles" - c’est-à-dire "des aliens ou des Chinois".
Adam est un homme des bois, qui y vit, s’y retranche avec ses plantations d’opium. Il veut être libre, sans contrainte, en pionnier. Et il a une arme donnée par son père.
T.C. Boyle montre cette folie d’Adam qui semble être celle de nombreux Américains. Et comme à son habitude, l’écrivain excelle à rendre compte de ces forêts de Californie dans lesquelles Adam se terre et finira sa vie, traqué par des centaines de policiers comme Colter le fut par les Blackfeet.
La nature pour Boyle n’est pas un simple décor, elle est un personnage essentiel. Boyle évoque souvent dans ses livres cette éternelle confrontation entre l’homme et la nature.
Le troisième personnage de cette saga, longue mais pleine de suspense, est une femme : Sara, de 15 ans plus âgée qu’Adam et qui a une liaison avec lui. Elle partage avec Adam le refus de toute contrainte de l’Etat qu’elle appelle USIGA - pour "U.S. Illegitimate Governement of America". Elle ne supporte aucune forme de coercition, comme d’être obligée de boucler sa ceinture de sécurité ou de montrer, à un contrôle, son permis de conduire et sa carte grise. Elle est prête à se rebeller, à aller en prison plutôt que d’obéir à une police qu’elle exècre. Son seul véritable amour est son chien et les chevaux qu’elle soigne comme vétérinaire. A nouveau, chez Sara, on retrouve le cocktail de libertarisme, de violence et de retour à la nature sauvage.
On retrouve bien dans "Les vrais durs" le souffle épique des romans de Boyle, avec les passions qui se transforment en incendies réels ou psychologiques. Du Boyle pur jus.
L’épigraphe choisie par Boyle en est un bon résumé. C’est une phrase de D.H. Lawrence : "L’âme américaine est dure, solitaire, stoïque : c’est une tueuse. Elle n’a pas encore été délayée".
"Les vrais durs", T.C. Boyle, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Turle, Le Livre de Poche, 528 pp.