Tom Wolfe, le dandy vitupérant contre l'Amérique (PORTRAIT)
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Publié le 15-05-2018 à 18h36 - Mis à jour le 15-05-2018 à 18h37
L’auteur du best-seller, « Le bûcher des vanités » est mort mardi à 87 ans.
L’écrivain américain Tom Wolfe est mort ce mardi à l’âge de 87 ans. Il était d’abord une silhouette, le dernier vrai dandy de la littérature, le dernier avatar du légendaire baron de Montesquiou cher à Proust.
Toujours habillé d'un de ses 32 costumes de flanelle blanche coupés sur mesure, d’une de ses 65 chemises très colorées, et accompagné de chaussures blanches et de guêtres blanches dessinées par lui-même et réalisées par le meilleur chausseur londonien, il recevait dans son splendide appartement donnant sur Central Park ou circulait dans sa voiture blanche avec siège, poignée de porte et pneus assortis. «On dirait un service de porcelaine à roulettes», disait-il.
Vedette des plateaux télés, on en oublierait qu'il fut un des grands écrivains de l'après-guerre, inventeur du «nouveau journalisme» quand il montra l'autre face des grands événements, de Cassius Clay à la vie des astronautes dont il fit un best-seller, «L'étoffe des héros».
Ses romans, aussi, furent d'immenses succès, à commencer par «Le bûcher des vanités» où il racontait l'irrésistible chute d'un golden boy de Wall street, perdu dans les rues du Bronx.
Il était né dans le Sud, le 2 mars 1931 à Richmond en Virginie. Passé par Yale, il devint journaliste collaborant au Washington Post, au New York Herald Tribune, à Esquire Magazine. Avec Norman Mailer, Joan Didion et Truman Capote, il créa ce qu’on appela « le nouveau journalisme », basé sur l’enquête, l’implication personnelle, le regard très critique sur la société américaine.
Les quatre vérités
Mais c’est comme romancier qu’il se fit connaître avant tout avec seulement quatre romans en 26 ans, mais de très (trop) gros romans.
Dans chaque livre, il analyse et assène ses quatre vérités à la société américaine. Sa plume est sans pitié, alerte, méchante, efficace. « Le Bûcher des vanités » (1979) s’est vendu à deux millions d’exemplaires. C’est l’histoire d’un homme très riche, des beaux quartiers de New York, qui se perd (le GPS n’existait pas) dans le quartier sinistré du Bronx. Une descente en enfer et une critique déjà du monde de Wall street et de l’Amérique à deux vitesses.
Devenant de plus en plus réactionnaire, Tom Wolfe s’enorgueillit en 2004 d’avoir voté Bush et s’amusait à lutter chaque fois contre le » politiquement correct ».
Dans « Moi, Charlotte Simmons » (2004), il s'attaquait à un des bastions de l'Amérique triomphante: ses grandes universités, Harvard, Yale, Stanford, pépinières de la future élite républicaine et affairiste. Il racontait qu'il a passé plusieurs mois sur les campus, troquant ses costumes blancs pour un blazer moins voyant. Et il avait ses espions parmi les jeunes.
Son constat, résultant de cette analyse «journalistique», est accablant. Les universités seraient de gigantesques lupanars où toute une jeunesse privilégiée s'éclate au sortir de l'adolescence avant de plonger dans la vie professionnelle et ses ambitions à millions de dollars. Ce n'est pas la science qui y règne, mais la régression du langage, la baise à tous les étages et les séances de biture et de vomi.
En 2013, à 82 ans, avec toujours cette langue acerbe, vitupérant contre le monde actuel, celui que « The New Yorker" a traité de "paranoïaque conservateur » publiait son dernier roman « Bloody Miami », poursuivant son travail de romancier à sensation. Il a choisi de faire le portrait d’une ville emblématique des mélanges culturels qui vont, dit-il, dominer les États-Unis. À Miami, où il a visité les bars et les bordels, les réfugiés cubains dominent et dirigent la ville. On y croise toutes les communautés : les Haïtiens, les Afro-Américains, les exilés russes et même, encore, quelques Américains blancs traditionnels, en voie rapide de disparition, les "Wasp", qu’on appelle là les « Anglos".
Il donne un portrait expressionniste d’une société américaine qui filerait vers le multiculturalisme et la crise morale. Pour Tom Wolfe, Miami et ses problèmes annoncent le visage futur de l’Amérique. Pour lui, Miami n’est qu’une ville de violence, de heurts raciaux, une poudrière où le sang et le stupre mettent le feu.