Des tulipes en bouquet tourmenté
Publié le 16-05-2018 à 15h03 - Mis à jour le 16-05-2018 à 15h04
Isabelle Bielecki et le rude combat pour la liberté dans un monde de harcèlement.Elisabeth a l’âme peinte au vert des arbres, des herbes et des jardins. Née d’un père d’origine russe et d’une mère polonaise, elle a grandi dans l’enfer de leurs incessantes querelles, séquelles de leurs souvenirs de guerre et de camps de concentration. Fuyant ce passé traumatisant dont ils se vengent l’un sur l’autre, ils s’installent à Uccle - la si élégante commune belge - où, pour la honte de leur fille, ils importent leurs bruyants affrontements. Celle-ci se promet dès lors, d’avoir un destin bien à elle et s’intègre résolument à son pays d’accueil dont, contrairement à ses parents, elle apprend la langue. Dans la même perspective, elle se marie à un homme doux mais de peu de désir auprès duquel elle s’ennuie très vite, en dépit de la naissance d’une petite fille.
Demeurant en attente du grand amour, elle le trouve auprès de Miura, son patron au bureau bruxellois d’assurance japonaise où elle travaille. Il est attentif, discret, sensuel, déjà marié et, chaque semaine, lui fait déposer un bouquet de tulipes sur son bureau. Mais il est attaché à sa culture et part lorsqu’il est rappelé dans son pays.
Ayant quitté la sécurité pour l’aventure, elle se retrouve seule avec ses rêves et les vibrations des voluptés qu’elle a connues mais entend résister - son verbe préféré. D’amants en mariages, de résolutions en hésitations, elle se bat pour sa liberté. Cependant, les hommes ne sont pas fiables et le milieu japonais des affaires où elle est demeurée ne s’impose pas à elle pour sa bienveillance et sa courtoisie, mais pour son mépris et son despotisme… très peu éclairé. Avec les successeurs de Miura, elle découvre le revers de la médaille et l’autre versant des rapports qu’ont les Japonais au pouvoir avec les femmes, avec l’arrogance et avec la vanité, se voulant maîtres servis et adulés.
Amélie Nothomb a déjà, en 1999, traité avec humour et réalisme ce même divorce culturel dans "Stupeur et tremblements". Isabelle Bielecki y revient, mais de manière plus foisonnante, jonglant avec les dates et la multiplicité des détails et des situations. On sent que son roman où l’on se perd parfois lui est très personnel et que, si elle n’en a pas vécu tous les épisodes, elle sait de quoi elle parle pour être elle-même belge d’origine russe et polonaise et avoir travaillé, outre l’écriture, dans le monde nippon des affaires (qui ne mérite peut-être pas l’exclusivité de ses accusations). Si son livre est trop confus pour être toujours clair, il souligne pourtant avec force l’oppression du harcèlement en un moment où il est enfin largement dénoncé et exprime combien, se battant pour faire reconnaître sa place dans la société, on ne renie jamais tout à fait son histoire passée.
Les tulipes du Japon Isabelle Bielecki M.E.O. 240 pp., 18 €