Le déjeuner entre de Gaulle et Franco
Publié le 16-05-2018 à 15h21 - Mis à jour le 16-05-2018 à 15h22
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TWK45TDZEBANZC4RTDTH7VW4T4.jpg)
Claude Sérillon évoque (et imagine) leur déjeuner à Madrid, le 8 juin 1970.Brillant et mordant journaliste qui fit longue carrière à la télévision - Antenne 2/France 2, principalement -, Claude Sérillon (Nantes, 20 octobre 1950) est aussi auteur d’essais, romans, recueils de nouvelles, de poèmes, et encyclopédiste des années 70, 80 et 90. A un fait historique "méconnu", il consacre son ouvrage dernier-né, "Un déjeuner à Madrid", dont, d’entrée de jeu, il établit le sujet : "C’est un lundi. Le 8 juin 1970. A six kilomètres du centre de Madrid, au palais du Pardo, le dictateur espagnol Francisco Franco, soixante-dix- sept ans, reçoit Charles de Gaulle, soixante-dix-neuf ans. L’un est au pouvoir de façon implacable depuis trente et un ans, l’autre ne l’est plus depuis un an. Viré." En effet, le 28 avril 1969, au lendemain d’un référendum (portant sur la réforme du Sénat et des régions) quasi perdu d’avance, le fondateur de la Ve République cessa d’exercer ses fonctions. Moins d’un an donc après Mai 68 - qui, malgré sa victoire électorale en juin, sonna le début de la fin politique du plus illustre Français du XXe siècle. De Gaulle, alors, se retira en sa demeure de Colombey-les-Deux-Eglises, où il mourra inopinément le 9 novembre 1970.
Après sa démission, en tant que simple "touriste", il passa quelques semaines en Irlande avec son épouse et son aide de camp. Puis organisera en secret ce voyage en Espagne que Sérillon commente d’abord en chroniqueur; ce n’est qu’à la page 75 qu’il change de registre : "Lecteurs, ici commence l’invention, le roman vrai et faux de cette rencontre." Rencontre sur laquelle les officiels français et la presse hexagonale firent d’abord silence, tandis que, de l’autre côté des Pyrénées, on divulguait la visite du Général au Caudillo. Rencontre qui plongea sans doute dans la stupéfaction les plus fidèles gaullistes (comment n’ici penser à Malraux ?). Claude Sérillon recrée - puisque n’existe pas d’enregistrement des propos tenus - ce déjeuner privé entre l’homme de l’Appel du 18 juin (1940) et l’ancien allié des nazis - rappelons-nous Guernica, en 1937. Par ce repas organisé à sa demande, le général de Gaulle "achève sa vie par un coup d’éclat que son entourage s’efforcera, gêné, de traiter comme une anecdote. Pour l’histoire, ce n’en est pas une." Pour Claude Sérillon, ce rendez-vous madrilène a "toujours semblé une énigme" car entrevue entre deux hommes qui n’auraient "jamais dû se rencontrer" puisqu’ils avaient "incarné deux camps en lutte à mort". On ne s’étonnerait pas que ce "roman" fasse un jour l’objet d’une transposition pour la scène, dans la veine des pièces à succès de Jean-Claude Brisville comme "Le souper" (où dialoguent Talleyrand et Fouché) ou "La dernière salve" imaginant des conversations entre Napoléon, exilé à Sainte-Hélène jusqu’à sa mort en 1821, et le gouverneur Hudson Lowe, l’anglais geôlier de l’Aigle en l’île… Qui vivra verra.
Un déjeuner à Madrid Claude Sérillon Cherche Midi 154 pp., env. 17 €