A la (re)découverte d’Herbert Marcuse
Publié le 23-05-2018 à 16h36 - Mis à jour le 23-05-2018 à 16h37
Un sérieux ouvrage sur le grand prêtre de la contre-culture.Ancien journaliste et fonctionnaire européen, aujourd’hui écrivain et philosophe, Renaud Denuit brille notamment par son regard rétrospectif. De Marx naguère (2003) à Marcuse aujourd’hui, le voici qui remet avec bonheur certaines pendules à l’heure. Car, si l’on prête à Herbert Marcuse, philosophe américain d’origine allemande, né à Berlin le 19 juillet 1898, la célèbre formule "L’imagination au pouvoir", son œuvre ne saurait se réduire à un petit bréviaire de la révolution pour enfants du surréalisme affamés de slogans.
Membre de l’illustre "Ecole de Francfort", à l’instar de Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Erich Fromm ou Walter Benjamin, puis plus tard aussi du grand Jürgen Habermas, l’auteur de "L’Homme unidimensionnel", vaisseau amiral de son œuvre publié à Boston en 1964 et traduit en français par Monique Wittig en mai 1968, inspire à Renaud Denuit cette réflexion liminaire que, "à tout centrer sur Paris ou la France, beaucoup d’études perdent en pertinence".
S’il a lu, comme bon nombre, que le grand mouvement de Mai a d’une certaine manière gagné la "révolution des mœurs" mais, inversement, produit dans le champ politique et économique le contraire de l’espérance qu’il avait formulée, il n’en atteste pas moins que l’ensemble des valeurs véhiculées par la contestation soixante-huitarde ont été "récapitulées, articulées, fondées" par les travaux d’Herbert Marcuse, dont il nous faut d’emblée citer aussi le majuscule "Eros et civilisation" (1955), sans oublier non plus "La fin de l’utopie", parue peu avant 1968.
Sans tarder davantage, il importe de situer Marcuse au carrefour ambitieux de quatre géants de la pensée : Hegel, Marx, Freud et Heidegger. Un Heidegger sous la guidance duquel il édifia sa thèse sur "L’ontologie de Hegel et la théorie de l’historicité". Que retenir en quelques mots de ce penseur "subversif", sinon qu’il fut le prédicateur d’un "freudo-marxisme" dont Louis Althusser fut, à sa manière, un autre porte-parole ?
C’est au détour d’une petite phrase, saisie en conclusion de l’ouvrage, qu’on découvre qu’"en lisant Marx, Marcuse a trouvé ce qu’il cherchait, consciemment ou non, chez Heidegger". Car, finalement, "Marcuse, dans son souci de ‘thérapeutique sociale’, découvre que la pensée du maître [Heidegger] y est totalement étrangère". Rien n’est aussi fondamental à ses yeux que "la Vie, la vie même de l’homme d’aujourd’hui, lourd de son passé, aliéné par son présent, libérable en son futur". Où l’on ne lit pas par hasard la marque du "télos" hégélien.
Cette téléologie - issue du "télos", à comprendre comme le but ou la finalité de l’Homme ou de l’Histoire - participe de la dialectique hégélienne même, celle du maître et de l’esclave, qui dit au fond que la conscience n’est pas libre en soi. Mais tout espoir n’est pas perdu de la voir accéder à la Raison, au bout d’un rude et âpre combat.
Herbert Marcuse. Révolution et philosophie. Repenser Mai 68 Renaud Denuit CEP 256 pp., env. 18 €