La pieuvre, cet "alien" à l'intelligence fascinante
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Publié le 23-05-2018 à 16h32 - Mis à jour le 23-05-2018 à 17h10
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"L’Ame d’une pieuvre" nous plonge dans le monde étrange de ces invertébrés. Ces "aliens" aux 300 mil-lions de neurones ont des capacités fascinantes. Il n’y a pas d’animal plus dangereux pour l’homme qui est dans l’eau, car il lutte avec lui, l’embrasse, l’épuise par ses cupules et ses nombreux suçoirs et finit par entraîner les naufragés ou les plongeurs qu’il attaque." Cet avertissement sur la pieuvre est signé Pline le Jeune et date de -79 avant Jésus-Christ. La peur des pieuvres est profondément ancrée dans la psyché humaine. Mais la naturaliste et journaliste Sy Montgomery est, elle, au contraire totalement fascinée par cet invertébré, habituellement présenté comme un tueur géant de film d’horreur. Tout commence avec sa rencontre avec Athéna, deux ans et demi, 20 kilos et résidente de l’aquarium de Nouvelle-Angleterre. Dans son nouvel ouvrage "L’Ame d’une pieuvre", elle raconte comment elle plonge ses mains dans l’eau à 8 degrés du bassin pour rencontrer cette pieuvre géante du Pacifique et comment ses deux mains et ses avant-bras sont engloutis par les dizaines de "douces ventouses", d’Athéna en quête de sa peau. "Elle m’aspirait, comme le baiser d’un alien. Les pieuvres peuvent goûter avec leur corps tout entier, mais c’est dans les ventouses que ce sens atteint son apogée. L’étreinte d’Athéna était d’une intimité exceptionnelle. Elle pouvait à la fois toucher et goûter ma peau, voir mes muscles, mes os et mon sang, situés sous mon épiderme. Bien que notre rencontre fut toute récente, Athéna me connaissait déjà mieux que quiconque." La curiosité semble également intense des deux côtés. Pour Sy Montgomery, c’est aussi le premier pas dans la découverte d’un univers totalement nouveau. "Il n’est pas aisé de trouver un animal plus différent de l’homme", admet-elle en effet face à cet animal, dont elle décrit, admirative, l’intelligence et les capacités stupéfiantes, que la science commence seulement à appréhender.
Ainsi, la faculté des pieuvres à se camoufler ferait rougir n’importe quel caméléon, assure Sy Montgomery. La plupart des animaux doués de cette faculté de mimétisme ne peuvent compter sur un nombre limité de motifs. Les céphalopodes, eux, peuvent en manifester 30 à 50, et un chercheur a pu observer, sur un récif de corail du Pacifique, une pieuvre effectuer 177 changements de couleur, en une heure seulement… Pour tromper ses prédateurs, la pieuvre peut afficher des rayures, des points, des taches… et même un motif semblable à "un nuage qui passe", capable d’imprimer une sensation de mouvement lorsqu’elle est immobile.
La pieuvre est dotée d’un cerveau énorme, pour un invertébré. Elle possède 300 millions de neurones - un escargot en a 11 000, un humain 100 milliards - répartis en 50 à 75 lobes différents, et surtout… dans ses tentacules, qui lui permettent de choisir sa couleur, mais aussi coordonner ses bras, apprendre, penser, prendre des décisions et se souvenir, tout en traitant le flot d’informations gustatives et tactiles venant de sa peau et les images que lui apportent ses yeux. Les pieuvres sont même capables de se construire des abris, en utilisant des coques de noix de coco ou des cailloux.
Affirmer l’existence d’un esprit chez une créature aussi étrangère à nous exige une remarquable souplesse mentale, et redimensionne l’hybris de l’homme, affirme le biologiste marin James Wood, l’un des nombreux scientifiques que Sy Montgomery a rencontré pour son ouvrage. "Combien de motifs colorés votre bras sectionné peut-il produire en une seconde", telle est le genre de question que, selon lui, une pieuvre pourrait nous poser - avant de conclure à notre stupidité.
La douce Athéna, Octavia l’agitée, la joyeuse Karma... C’est ainsi que Sy Mongtomery décrit les pieuvres rencontrées dans différents aquariums des Etats-Unis, dotées chacune d’une personnalité distincte. Sa recherche l’amène aussi à plonger en compagnie des pieuvres dans leur habitat naturel, notamment au large de la Polynésie. Un parcours auprès des pieuvres qu’elle décrit comme hors du temps et que suit le lecteur avec un intérêt croissant, emporté par l’enthousiasme contagieux de l’auteur.
L’Ame d’une pieuvre Sy Montgomery Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gabriella Zimmermann Calmann Lévy 342 pp., env. 20,90 €