Quand la mère se retire
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Publié le 23-05-2018 à 14h43 - Mis à jour le 23-05-2018 à 15h24
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Dans son nouveau roman, Elise Bussière analyse l’amour maternel. Une mère abandonne son bébé et disparaît.Y a-t-il crime plus incompréhensible que celui d’une mère abandonnant brusquement son bébé, sans laisser de traces ni d’explications ? La police enquête et en arrive à la croire morte. Comment expliquer ce geste et comment cette fillette sans mère a-t-elle pu grandir ?
C’est ce qu’imagine Elise Bussière dans son nouveau livre. Elle est déjà l’auteur d’un roman remarqué sur les cadres internationaux d’aujourd’hui ("Je travaille à Paris et dors à Bruxelles") et est, par ailleurs, secrétaire générale du Pen Club francophone belge qui défend la liberté des écrivains dans le monde.
Dans "Mal de mères", elle analyse avec beaucoup de justesse et de finesse l’amour maternel. Car dans ce geste d’abandon, il est paradoxalement beaucoup question d’amour.
Vingt ans après avoir disparu, la mère réapparaît sous la forme d’un paquet de lettres, jamais envoyées, et que son nouveau compagnon vient remettre à la fille. Mais quand celle-ci reçoit ce courrier, la mère est déjà morte et pour sa fille c’est à nouveau un coup de couteau. Elle s’était forgée une image "glorieuse" de sa mère, et brusquement cette explication se fissure, une mère si faible réapparaît et en même temps disparaît à nouveau, cette fois pour toujours.
Le roman passe sans cesse de la parole de la mère à travers ses lettres, à celle de la fille qui réagit vingt ans plus tard à ce surgissement, au moment où se pose pour elle la question de sa propre maternité.
En 1980 déjà, Elizabeth Badinter, dans "L’amour en plus", démontrait que l’amour maternel n’avait rien d’inné et était une invention du XXe siècle. Elise Bussière montre bien comment cette jeune mère s’est sentie désemparée à la naissance de sa fille, écrasée d’emblée par les remarques négatives de sa propre mère qui "avait instillé en moi la conviction d’avoir raté ma vie" : "Tu auras des soucis, ta fille ne sourit jamais."
Dans une scène hallucinante mais d’une grande vérité, elle se retrouve avec ses amies, "club bienheureux des mères", qui l’assaillent de conseils : "Tu vois qu’elle a trop chaud. Et ses petits boutons ? Et tu arrêtes déjà d’allaiter ?" Loin d’être le bonheur, la maternité la laisse totalement seule et désemparée.
Et si brusquement, elle part, c’est, écrit-elle dans ses lettres, "pour ne pas mourir". "J’ai choisi de mourir à ma vie, à notre vie. La laisser derrière moi parce que je n’étais pas la mère que je te souhaitais."
Le roman montre aussi comment la fille, après un moment de révolte, tente de comprendre sa mère. Elle-même expérimente une maternité hors norme en voulant vendre un ovocyte.
A travers ce cas extrême, ce beau roman évoque toutes "ces mères que nous aurions pu être".
Mal de mère Elise Bussière Editions Mols 124 pp., env. 15,90 €