"Regarder clair pour agir fort et juste" : voilà ce que permet la littérature aux yeux de Christiane Taubira
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Publié le 28-05-2018 à 15h18 - Mis à jour le 29-05-2018 à 18h23
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Dans "Baroque sarabande", Christiane Taubira célèbre cet acte fondateur, la lecture, et les auteurs qui jalonnent son existence. Où s’ensemencent le plaisir de l’instant et la pensée en mouvement."Regarder clair pour agir fort et juste" : voilà ce que permet la littérature aux yeux de Christiane Taubira. L’ancienne députée (1993-2012) et ministre française de la Justice (2012-2016) est femme de lettres : autrice d’une dizaine d’ouvrages (dont "L’esclavage raconté à ma fille", "Rendez-vous avec la République", "Nous habitons la Terre"), mais d’abord, surtout, résolument, passionnément lectrice. Entre les livres, les écrivains et elle, c’est de "compagnonnage" qu’il s’agit. Toutes abondantes que soient les références qui émaillent l’opus, on est loin ici de l’érudition complaisamment étalée, mais plus justement dans cet endroit singulier où se condensent, s’ensemencent le plaisir de l’instant et la pensée en mouvement. Profuse mais précise, et si soucieuse de partager ses élans.
Ainsi, au fil des pages, on souligne, on annote, on s’imbibe et déambule, on suit le fil que tisse la plume alerte, élégante et généreuse de cette femme politique - également économiste, sociologue - à l’humanisme chevillé au corps. Plus qu’une démonstration, ce fil est une promenade dans l’univers si vaste de ce qu’éclaire la littérature. Un vagabondage libre mais structuré, où Christiane Taubira balise les chemins de la langue (productrice d’altérité, terrain de fertiles contaminations), épingle le risque de l’amnésie, déchiffre les mécaniques coloniales et racistes, soulève la question capitale de la traduction.
Ce livre est une leçon - jamais péremptoire - de littérature (y compris celles qu’en Europe on fréquente trop peu), de style, d’Histoire mondiale, de poésie aussi, le "savon philosophal" de René Char. Là où, pour Edouard Glissant, "la poésie ne produit pas de l’universel, non, elle enfante des bouleversements qui nous changent".
Ce livre est donc l’histoire des bouleversements que la lecture a produits chez celle qui, petite fille en Guyane, cachait sous son lit une valise bleue remplie de livres, bravait les interdits, puis découvrira les trésors de la bibliothèque de Cayenne.
"Souvent l’Histoire se venge par la musique et les arts", écrit Christiane Taubira dont cette "Baroque sarabande" salue une kyrielle d’écrivains - Césaire en tête, avec son "exubérante brutalité" - sans négliger la force notamment du jazz, de l’image (dont les femmes yézidies photographiées par notre consœur Johanna de Tessières), de la sculpture, de l’opéra, de la danse… Les arts qui, auscultant l’humain dans le monde, donnent matière au temps.
Baroque sarabande | Christiane Taubira | Éditions Philippe Rey |180 pp., env. 10 €