Les deux André : Gide et Malraux
Publié le 29-05-2018 à 15h58
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L’amitié les unit, mais Malraux lui reprochera son indifférence à l’Histoire.Tant de choses paraissent opposer André Gide (1869) et André Malraux (1901) - une différence d’âge de 30 ans, une vision de l’art divergente, l’existence douillette de l’auteur des "Nourritures terrestres" (1897) par rapport à la vie aventureuse du romancier de "La Condition humaine" (1933) - qu’on s’étonne de l’amitié qui les a unis pendant longtemps. Un album lui est aujourd’hui consacré par Jean-Pierre Prévost, riche de quelque 200 documents (photos, manuscrits, affiches, etc.).
Leur relation débuta en 1922, à la suite de deux articles dans lesquels le jeune Malraux prenait la défense de Gide contre des critiques catholiques, estimant qu’il était une figure exemplaire de l’époque de par son goût affiché de la liberté et du bonheur. Gide souhaita, bien entendu, rencontrer son jeune avocat, et Malraux entra peu après dans le petit noyau d’écrivains qui animait la "Nouvelle Revue française", fondée par Gide en 1909. Il assurera plus tard une édition de ses "Œuvres complètes" en 15 volumes.
En 1925, Malraux s’embarqua pour Saigon afin d’y lancer un journal qui prendrait la défense de Annamites contre les autorités coloniales qui les méprisaient. Un projet qui tourna court. Cette même année 1925, Gide parcourut l’Afrique française avec son jeune ami Marc Allégret (le futur cinéaste) et en ramenait deux ouvrages qui dénonçaient l’accablante réalité du colonialisme français.
Cette convergence anticolonialiste des deux hommes se répétera au début des années 30 dans leur adhésion au communisme soviétique, en dépit de la barbare politique de Staline. Sans doute, écrit Gide, de "pénibles abus de force" (sic) étaient-ils nécessaires afin de "permettre enfin l’établissement d’une société nouvelle". Il faudra aux deux hommes quelques années pour découvrir qu’ils avaient tout faux : Gide, en 1936, lors de son voyage en URSS, en constatant l’absence de liberté pour les homosexuels, Malraux, en 1937, lorsque les communistes écrasèrent les anarchistes catalans sur ordre de Staline.
Gide et Malraux resteront proches au début de l’Occupation, mais en 1942 le premier se réfugia en Afrique du Nord, tandis qu’en avril 1944 le second s’engageait dans la Résistance, puis dans l’action politique aux côtés du général de Gaulle. Gide, de son côté, vieillissant, jouit alors d’un prestige international consacré par un prix Nobel de littérature en 1947. Leurs relations s’espacèrent tout en demeurant amicales.
Il faudra la mort de Gide, le 19 février 1952, pour que Malraux prenne du recul à son égard, écrivant notamment que le "Gide capital" n’était pas celui de ses engagements politiques et sociaux des années 20 et 30, mais le Gide ironique de "Paludes" (1895), artiste farfelu et mystificateur !
Il enfoncera le clou dans la préface qu’il donna en 1973 aux "Cahiers de la Petite Dame", dans lesquels Maria van Rysselberghe, la veuve du peintre belge Théo van Rysselberghe, avait tenu le journal de sa vie quotidienne avec Gide, notamment dans leur double appartement rue Vanneau.
Il y soulignait que Gide appartenait à un temps, "qui n’est plus le nôtre", dominé par le culte de la littérature : "Je ne me suis jamais intéressé, écrit Gide, qu’à la religion et à la pédérastie. Le Vanneau croyait au primat de la littérature, à la littérature française héritée de Racine; livré à lui-même, il eut publié ‘La Princesse de Clèves’ tous les mois." Et d’expliquer qu’il s’est éloigné de Gide parce que l’Histoire n’existait pas pour lui.
André Gide, André Malraux. L’amitié à l’œuvre (1922-1951) Jean-Pierre Prévost Gallimard-Fondation Catherine Gide 248 pp. ill., env. 23 €