Les dernières veillées de Stevenson
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Publié le 04-06-2018 à 16h11
"La Pléiade" achève enfin, avec les cinq années samoanes, la publication des œuvres d’un homme surprenant.Il aura fallu attendre treize ans pour que parvienne à son terme, avec ce troisième volume des œuvres de Robert Louis Stevenson dans "La Pléiade", une entreprise qui vise à rendre à l’auteur de "L’Ile au trésor" et de "L’Etrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde", ses lettres de noblesse auprès du public français. C’est en mars 2005 qu’avait paru le tome deux (avec notamment "Le Maître de Ballantrae", "Enlevé !" et "Le Pilleur d’épaves"), quatre ans après un premier tome réunissant plusieurs des romans les plus célèbres.
Rendre à Stevenson ses lettres de noblesse, c’est rappeler que cet Ecossais d’Edimbourg, mort prématurément à 44 ans, le 3 décembre 1894, ne fut pas un "écrivain pour enfants". C’est aussi souligner, comme le fait Marc Porée, professeur de littérature anglaise à Normale Sup, qui signe l’introduction et l’une des traductions (celle de "Catriona"), l’extraordinaire diversité d’une production littéraire abondante.
"Catriona", justement, en livre une illustration : quand Stevenson conçoit cette fresque historique qui le replonge dans son pays natal, il est installé depuis trois ans aux antipodes, à Apia, dans les Samoa, et il est alors tout pénétré de culture polynésienne. Laquelle lui inspire par ailleurs des nouvelles, rassemblées sous le titre "Veillées des îles" dans ce volume, mais aussi des travaux qui relèvent plus de l’historien ou de l’ethnologue.
Ces îles d’un océan Pacifique que "R.L.S." a sillonné en tous sens, n’ont, toutefois, rien de très exotique. Le romancier s’emploie, au contraire, à les dépeindre dans toute leur vérité, toute leur nudité. Comme s’il s’imposait "un devoir de grisaille", explique Porée, Stevenson montre "l’île sans idylle". Avec lui, les mers du Sud sont "rincées de leurs apparences paradisiaques, nettoyées jusqu’à l’os des mirages qui s’y attachaient encore".
S’il en est ainsi, c’est parce que la transplantation de Stevenson au fin fond de l’Océanie, en 1890, non seulement n’aura pas guéri ce poitrinaire qui disait "n’être pas né pour vieillir" et finira par mourir d’avoir trop toussé, mais elle l’aura par-dessus le marché rendu bien malade : malade du colonialisme et de l’impérialisme. Il observa, aux Samoa, les manœuvres du triple colonisateur anglais, allemand et américain, et il s’en indigna avec véhémence dans des articles ou des lettres aux autorités et à la presse qui révèlent un aspect méconnu du personnage.
Cette révolte a pu être nourrie, rappelle Marc Porée, par un air de parenté entre les rois samoans et les chefs de clans écossais, pareillement épris d’indépendance. Toujours est-il qu’elle ne sera guère appréciée par les défenseurs de l’Empire. Ce rejet contribua sans doute au relatif oubli dans lequel Stevenson sombra après sa mort, alors qu’il était, de son vivant, aussi populaire que Kipling.
Veillée des îles. Derniers romans (Œuvres, tome III) Robert Louis Stevenson Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2018 1296 pp., env. 68 € (62 € jusqu’au 31 décembre)