Comme une chanson qui nous ressemble…
Publié le 12-06-2018 à 16h02 - Mis à jour le 14-12-2020 à 15h33
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La vérité dure et très humaine de Michelle Fourez dans un Bruxelles au décor familier.Quelque chose d’un impromptu de Schubert, d’une chanson de Brel ou de Ferré, d’un film de Jacques Demy, d’un poème de Prévert à moins que d’Apollinaire… On trouve un peu tout cela dans le très joli roman "Elisabeth, en hiver" - mais est-ce vraiment un roman ? - de Michelle Fourez qui allie musique, images, réalisme tout en nous rappelant discrètement que "Ni temps passé ni les amours reviennent", comme un de ces airs lancinants que l’on se fredonne au silence de soi. Avec la nostalgie de la vie qui a été mais pas toujours telle qu’on l’avait rêvée, avec un regard aigu sur les couleurs du quotidien, avec la violence d’une espérance qui se refuse à abdiquer, elle nous fait entrer dans les sentiments et les humeurs d’une femme qui, à cinquante ans, se sent vieille et tenue de pactiser avec la solitude.
Au temps où elle était encore belle et fantasque, Elisabeth a été amoureuse et mariée à Pierre, séducteur à tout va de la race des seigneurs qui, contrairement à elle, a grandi parmi les tapis d’Orient et la porcelaine de Tournai et, de vingt ans son aîné, s’autorisait à la battre. Peu de choses les attachait l’un à l’autre si ce n’est une folle passion physique qui, à défaut de les porter à vieillir ensemble, les fit parents de deux enfants aujourd’hui mariés et vivant loin d’eux : la fille au Vietnam, le fils au Canada. Leur mère, toujours en veine de rêves et de projets, a résolu de les recevoir pour Noël tout proche et d’associer à la fête leur père dont elle a divorcé dix ans plus tôt et qui accepte plutôt joyeusement : il apportera le vin.
Préparatifs. Joie mêlée d’angoisse. L’arrivée des deux familles a tôt fait de susciter son agacement : sa belle-fille ne parle pas le français, ses petits-enfants ne le savent qu’approximativement, ses somptueux petits déjeuners s’épuisent à attendre le lever des uns et des autres… Quant à Pierre, que son fils est allé chercher chez lui pour le réveillon, il a tout oublié et doit s’habiller à la hâte pour pouvoir être amené à la table dont le repas a été pensé en fonction de ses goûts d’autrefois. Pierre a la maladie d’Alzheimer et n’est pas un homme patient. Il aura des exigences troublantes.
Ces retrouvailles un peu ratées vont pourtant être pour les uns et les autres le prétexte à se parler, s’interroger, se regarder en face dans ses manques, ses regrets, ses égoïsmes confortables ou, soudain, un rire partagé "vivant comme on ne vit plus aujourd’hui où tout se fait dans la hâte". De tout cela émane une vérité intime et terriblement humaine, exprimée avec sobriété, pensée avec justesse. Et, ce qui ne gâche rien, Bruxelles est le décor de cette "chanson qui nous ressemble", à la tendre mélancolie résonant du Roy d’Espagne à La Mort Subite, de la librairie Tropismes à la cinémathèque, de Matonge à la place Flagey… Un livre près, très près de la vie qui bat et va en dépit des ratés et des chagrins. Le temps n’apaise pas les blessures de l’âme. Mais on peut y sourire de peur de faire pleurer les autres.
Elisabeth, en hiver Michelle Fourez éd. Luce Wilquin 110 pp., env. 12 €