Intrigues mortelles à Constantinople
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Publié le 12-06-2018 à 15h55 - Mis à jour le 10-11-2020 à 15h12
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Baptiste Touverey nous entraîne dans un grand roman épique, plein de fureur et de complots.Le roman/polar historique est un des plaisirs des vacances quand il cumule suspense, qualité d’écriture et capacité de redonner au passé ses couleurs et son relief.
Un maître du genre, Philip Kerr, vient de mourir à 62 ans et son dernier livre, "Bleu de Prusse", est un bijou où son inspecteur Bernie Gunther enquête sur un meurtre commis dans le nid d’aigle d’Hitler. On y reviendra la semaine prochaine.
Baptiste Touverey est un néophyte dans ce genre, connu jusqu’ici pour deux traductions de Stefan Zweig, mais son premier roman, "Constantinople" est une réussite.
On y retrouve les qualités d’un suspense qui tient en haleine sur 500 pages, tout en captant aussi l’intérêt parce qu’il se penche sur l’histoire de Constantinople, totalement absente des cours à l’école. Alors pourtant qu’elle est très importante et passionnante, Constantinople étant la seule grande ville au monde à cheval sur deux continents.
L’histoire et les personnages du roman sont largement historiques. L’auteur y a ajouté du romanesque pur, surtout dans le rôle des femmes. Pour l’essentiel, le livre rejoint une réalité qu’on s’empresse de vouloir mieux connaître après avoir refermé le roman.
"Constantinople" se déroule au début du 7e siècle, à une période charnière de l’histoire du monde. Phocas est empereur de 602 à 610. C’est un usurpateur, un soldat qui profite d’une fronde populaire contre l’empereur Maurice, coupable entre autres de pingrerie ayant refusé de payer la modeste rançon pour les 13 000 soldats prisonniers des Avars et ceux-ci les ont alors tous tués.
Phocas est un populiste qui se maintient au pouvoir par des cadeaux au peuple et en organisant d’immenses courses de chars où s’affrontent les Verts et les Bleus, les deux factions qui dominent la ville.
Phocas est le dernier empereur à avoir laissé sa trace dans le Forum à Rome. Dans la foulée de son règne, la Perse, ennemie historique, va perdre toute sa splendeur alors qu’au Sud, les troupes arabes se soulèvent à l’appel de Mahomet. L’Histoire bascule.
La cour de Phocas, c’est encore "Ben Hur", mais c’est déjà aussi Frank Underwood d’"House of Cards". Le roman débute par une course de chars, moment de bravoure qui donne le ton : chapitres très courts et capacité de rendre claire une histoire horriblement compliquée.
Nicétas et Héraclius, deux cousins, tentent l’un et l’autre de reprendre le pouvoir. L’un avec une armée qui avance via l’Egypte, l’autre avec un petit groupe résolu, arrivé par la mer. La découverte d’une fille cachée de Maurice est l’arme secrète de Nicétas capable d’enflammer les habitants de Constantinople contre Phocas. Celui-ci avait cru avoir décapité toute la famille de Maurice en promenant dans la ville leurs têtes coupées.
Quand Héraclius prend le pouvoir, la ville est aussi doublement assiégée par l’empereur de Perse Chosroès II qui a envoyé ses troupes et son génial stratège Shahrvaraz et, de l’autre côté, par une marée de cavaliers Avars faisant alliance avec les Perses. La situation paraît désespérée d’autant que des personnages troubles jouent des jeux obscurs, comme les généraux Prisque et Bonose, tous deux historiques.
Il y a peu de psychologie des personnages ou de considérations sur la civilisation et le rôle de la religion à Constantinople, le roman est plutôt centré sur les jeux du pouvoir et de l’amour, les ambitions et les complots, les coups de poker et le sadisme inouï de l’époque. Un exemple dont on sait s’il était réel : on plaçait les prisonniers dans des tonneaux et seule leur tête dépassait. Ils étaient nourris mais pourrissaient dans leurs tonneaux. Une fois, "mûrs" et pestilentiels, on lançait les tonneaux avec une catapulte sur les murailles ennemies dans les cris des sacrifiés.
Constantinople Baptiste Touverey Robert Laffont/Versilio 504 pp., env. 21,50 €