Trop noires pour l’écran blanc
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Publié le 12-06-2018 à 15h53
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L’actrice Aïssa Maïga et quinze consœurs signent l’ouvrage collectif "Noire n’est pas mon métier". Elles y dénoncent les stéréotypes et œillères du cinéma français.Cherche jeune fille de 13 à 18 ans pour un rôle." Voilà une phrase qui fait légitimement naître bien des espoirs dans le cœur d’actrices débutantes, mais la douche froide ne tarde jamais à tomber, souligne Karidja Touré ("Bande de filles"). "S’il n’y a rien de précisé, alors le rôle est forcément pour une Blanche."
Alors même que si peu de Noir(e)s sont présents dans les Conservatoires et cours de comédies, les rôles proposés à ceux qui en sortent, parfois couverts de lauriers, restent atones et répétitifs : maîtresses, domestiques, infirmières, prostituées, agents subalternes le plus souvent…
"C’est fou comme une présence noire au théâtre doit obligatoirement avoir ou donner du sens", note Sara Martins (vue notamment dans la série "Meurtres au paradis"). Pourquoi les acteurs noirs ne pourraient-ils être choisis pour la seule qualité de leur jeu ? C’est la question que posent seize comédiennes dans l’ouvrage collectif "Noire n’est pas mon métier". Elles y racontent un parcours semé d’embûches, d’espoirs et de désillusions. Où le risque le plus grand est toujours celui de l’invisibilité ou de la caricature.
Pour certains et certaines, le choix le plus sensé sera celui de l’exil vers ces autres territoires (Los Angeles, Montréal) où la couleur de peau n’est pas vécue comme un critère déterminant, voire déterministe. Après y avoir découvert le plaisir d’être acceptée en tant qu’actrice sans préjugés, France Zobda a toutefois fait le choix de revenir en France et d’y mener "le combat de la reconnaissance", d’y devenir "ambassadrice des outre-mers et des minorités visibles".
Devenue productrice au sein d’Eloa Prod, elle se bat aujourd’hui pour que d’autres histoires soient montrées sur les écrans, des récits tels que celui de "Toussaint Louverture", héros d’Haïti, ou "Le Rêve français" sur l’immigration dans les années 60, deux fictions diffusées sur France Télévisions.
A l’heure où des actrices comme Kerry Washington ("Scandal") ou Viola Davis ("How to Get Away with Murder") triomphent aux USA, où des films comme "Black Panther" explosent au box-office, pourquoi la France devrait-elle se tenir à l’écart de ce mouvement ? Ce livre de témoignages pose la question avec pertinence et de façon mesurée, en multipliant les exemples flagrants de discrimination sans jamais sombrer dans l’agressivité ou l’amertume à outrance.
Sa publication et la présence des seize actrices sur le tapis rouge du Festival de Cannes ont suscité un coup de projecteur bienvenu. Reste à espérer que cette prise de conscience a bien enclenché un sursaut salvateur et un véritable mouvement de fond…
Noire n’est pas mon métier Sur une idée d’Aïssa Maïga Seuil 118 pp., env. 17 €