Charles Maurras, penseur polémiste
Publié le 14-06-2018 à 16h47 - Mis à jour le 14-06-2018 à 23h17
A travers son œuvre de journaliste et de philosophe, toute une époque ressuscite.Charles Maurras (1868-1952) entre enfin dans la superbe collection "Bouquins" avec un ensemble impressionnant de textes et de documents. Ce n’est que justice, car il a exercé un tel magistère intellectuel et politique entre 1900 et 1940 qu’on ne comprend pas grand-chose à l’histoire de la France de cette époque sans lui. Et parce que, comme l’a fort bien dit Mme Taubira, qui fut Garde des Sceaux sous Hollande : "Ce n’est pas parce qu’on a un désaccord politique avec un auteur, qu’il ne faut pas le lire, la lecture n’est pas une aventure lisse, c’est aussi une promenade avec des troubles." ("Le Monde", 20 avril 2018)
Maurras, donc. Il naît à Martigue, ce qui ancra en lui l’amour de la Provence. Orphelin de père à 4 ans, brillant élève en latin et en grec, il est frappé de surdité à 14 ans. Cette injustice lui fait perdre la foi. Monté à Paris pour faire une licence en Histoire, mais désargenté, il débute dans le journalisme à 17 ans et demi. En 1896, il couvre les premiers Jeux olympiques à Athènes. Il y prend conscience de la faiblesse de la France sur l’échiquier international, et revient de Grèce avec la conviction que seul l’abandon du parlementarisme et le retour à la monarchie peuvent rétablir la situation.
Dans cet esprit, il crée en1908 un journal de combat, "L’Action française", où il commentera l’actualité politique, tous les matins, pendant 40 ans. Parallèlement, il publie des essais, de la poésie et des critiques littéraires qui établissent son prestige. En 1913, Proust le salue comme un de ses "maîtres". En 1918, Apollinaire le compare à Ronsard. En 1923, André Malraux préface un de ses livres. Maurice Blanchot le compare à Platon. En 1938, il est élu à l’Académie française.
Son influence inquiète bientôt l’Eglise qui voit toute une jeunesse ne jurer que par Maurras. En 1926, elle interdit la lecture de "L’Action française" aux catholiques. Ce fut le début du déclin du mouvement, qui s’accrut plus tard par la défection d’adhérents tentés par le fascisme, tel Brasillach, ou par l’antifranquisme, tel Bernanos.
Le choix de textes réunis dans la présente édition est remarquablement présenté par Martin Motte, directeur d’étude à l’Ecole pratique des hautes études- PSL, qui explique, éclaire, rectifie, des écrits allant de l’autobiographique au politique, du littéraire à la philosophie et à la poésie. Et à la condamnation de leur auteur en janvier 1945, par la Cour de justice de Lyon, à la réclusion à perpétuité "pour intelligence avec l’ennemi". Lui, le plus germanophobe des Français !
En 1940, il s’était rallié au maréchal Pétain par admiration pour le vainqueur de la bataille de Verdun, tandis qu’une majorité de socialistes et de radicaux élus du Front populaire lui votaient les pleins pouvoirs. Sa fidélité lui fit, hélas, écrire des articles contre le général de Gaulle, les Anglais, les résistants, difficilement supportables après la Libération.
Sa réputation après la guerre souffrit aussi de l’approbation qu’il donna en novembre 1940 au Statut des juifs, qui les excluait notamment des postes d’influence (universités, théâtres). Son antisémitisme était d’ordre politique ("Nous sommes les maîtres de la maison que nos pères ont bâtie") et non raciste (il dénonça l’antisémitisme hitlérien qui "refuse de considérer dans le juif une créature humaine"). N’empêche qu’il a contribué à un antisémitisme français qui remonte à Voltaire, qui qualifiait les Juifs de "plus abominable peuple de la terre".
Il est aussi célèbre pour ses appels occasionnels au meurtre. Mais ils étaient dans l’air du temps. Ainsi Aragon en 1931 : "Feu sur Léon Blum !". A travers Maurras, toute une époque ressuscite.
Charles Maurras édition présentée par Martin Motte Ed. Laffont, coll. "Bouquins" 1 280 pp., env. 32 €