Pourquoi la connaissance du latin "peut ajouter du souffle à nos journées"
Publié le 20-06-2018 à 09h21 - Mis à jour le 20-06-2018 à 10h34
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Nicola Gardini explique pourquoi il peut apporter du souffle à nos journées.A l’âge ou les garçons rêvent de devenir pilote d’avion, vétérinaire, Raphaël Nadal ou Diable rouge, Nicola Gardini s’est pris de passion pour le latin. En plus de ses devoirs scolaires, il faisait des versions latines par plaisir : "un bon moment pour traduire était le soir avant d’aller au lit". Avec le recul, il constate : "Grâce au latin, je n’ai jamais été seul. Des siècles ont été ajoutés à ma vie". Comment ne s’insurgerait-il pas contre ceux qui traitent le latin de langue morte ?
Italien, né en 1965, Nicola Gardini a enseigné le latin à la New School de New York et dans des lycées italiens. Aujourd’hui, à l’université d’Oxford, il enseigne la littérature de la Renaissance et pratique de ce fait quotidiennement le latin, parce que la Renaissance n’est pas concevable sans le latin. De son expérience, il a tiré, non un essai sur ce que le grand poète Leopardi appelait "l’exquise perfection de la langue latine", mais un ouvrage visant à faire comprendre pourquoi le latin est une langue capitale et pourquoi sa connaissance "peut ajouter du souffle à nos journées" !
Si l’idiome d’une petite communauté établie sur les sept monts de Rome créa, entre le VIIIe et le VIIe siècles l’alphabet latin, formé sur le modèle grec, ce n’est qu’avec un traité d’agriculture de Caton (234-149) et des comédies de Plaute (250-184) que commence la littérature latine. Abordant les auteurs, Gardini n’a pas son pareil pour expliquer, par exemple, que la poésie de Catulle n’est pas seulement délicieuse, mais idéale pour apprendre le subjonctif ou assimiler la période conditionnelle du troisième type, celle de l’irréel : "Ni te plus oculis meis amarem […] odissem te" (Si je ne t’aimais pas plus que mes yeux […] je te haïrais). Une construction grammaticale d’une subtilité que toutes les langues n’ont pas atteinte.
Commence alors un voyage à travers les lettres latines qui mêle érudition et expérience personnelle : "Parmi les auteurs antiques, Sénèque est celui qui m’a le plus aidé à vivre. Avec Virgile, j’éprouve des émotions; avec Tacite, je suis vivement affecté par la cruauté; avec Lucrèce, je prends le champ, je plonge dans les profondeurs; je tourbillonne. Cicéron m’offre un rêve de perfection en tout, pensées, discours, comportement". Pour tous, il donne des citations en latin pour faire entendre la musique de la langue avant leur traduction.
Si certains latinistes méprisent le latin chrétien, considéré comme bâtard, Gardini constate que le christianisme a, de fait, bouleversé la langue. Les changements les plus apparents concernent la syntaxe et le lexique. La première se simplifie, écartant la subordination et la coordination logique au profit d’un ton oral "venu de la prédication et de la confession"; le second importe du grec des mots nouveaux, tels que "scandalum", (pierre d’achoppement, chose qui fait tomber dans le péché), "angelus", "diabolus", "ecclesia" (église). En conclusion, Gardini estime que les changements dans la langue révèlent les progrès de l’époque dans la connaissance de la vie intérieure. Que l’on songe seulement aux "Confessions" de saint Augustin…
Qu’on ne vienne pas dire dès lors à Gardini que le latin est une langue morte. Ceux qui le pensent révèlent une conception tristement (et dangereusement) étriquée de l’instruction et de la formation. Il faut, au contraire, apprendre le latin parce que c’est la langue d’une civilisation, parce que c’est dans le latin que l’Europe s’est accomplie. Et que, comme disait Paul Valéry, le latin est la langue à laquelle nous devons "ce qu’il y a de plus solide et de plus durable dans les monuments de la nôtre". Comme on aimerait que ce plaidoyer soit entendu des responsables de la formation des jeunes aujourd’hui !
Vive le latin Nicola Gardini traduit de l’italien par Dominique Goust Ed. de Fallois 280 pp., env. 18 €