De Molière à Monsieur Lepic, les confidences de Guillaume de Tonquédec
Comédien et célèbre héros de la série "Fais pas ci, fais pas ça", Guillaume de Tonquédec, l'acteur de télévision préféré des Français, se livre comme jamais dans «Les portes de mon imaginaire». Et raconte ses rapports tourmentés avec la lecture. Tout comme sa passion pour la littérature. Balade à travers ses lectures et son parcours en compagnie de Zweig, Maupassant, Buzzatti... Rencontre à la terrasse des Deux Magots, café mythique de Saint-Germain-des-Prés.
Publié le 27-06-2018 à 18h52 - Mis à jour le 27-06-2018 à 18h53
Comédien et célèbre héros de la série "Fais pas ci, fais pas ça", Guillaume de Tonquédec, l'acteur de télévision préféré des Français, se livre comme jamais dans «Les portes de mon imaginaire». Et raconte ses rapports tourmentés avec la lecture. Tout comme sa passion pour la littérature. Balade à travers ses lectures et son parcours en compagnie de Zweig, Maupassant, Buzzatti... Rencontre à la terrasse des Deux Magots, café mythique de Saint-Germain-des-Prés.
Croiser, en taxi moto (grève oblige !), la statue de Molière, rue de Richelieu, juste avant de rencontrer Guillaume de Tonquédec aux Deux Magots, café mythique de Saint-Germain-des-Prés, ressemble à s’y méprendre à un signe du destin. Molière, ce dramaturge auquel il voue un véritable culte, cet auteur populaire qui, comme lui, voudrait s’adresser tant aux petites gens qu’aux grands de ce monde, et qu’il admire autant que Shakespeare, Maupassant, Zweig ou Buzzatti.
Passionné de théâtre et de littérature, le célèbre comédien se souvient de l’enfant qu’il était, de son apprentissage laborieux de la lecture, de ses démêlés avec l’orthographe, de toutes ces difficultés qui cultiveront son sentiment d’insécurité. Belle revanche aujourd’hui sur ces premières années. Devenu un artiste très populaire, un comédien reconnu, couronné d’un Molière et d’un César pour «Le Prénom», le voici désormais auteur des «Portes de mon imaginaire», un ouvrage dans lequel il raconte son parcours et se livre comme jamais.
Rencontre en terrasse avec un acteur populaire
Il n’est guère difficile, même pour les moins physionomistes d’entre nous, de reconnaître, lorsqu’il arrive en jean et polo sport habillé, Renaud Lepic, le numéro deux, en chair et en os, des Robinets Binet, le héros de la série télévisée «Fais pas ci, fais pas ça», dont les 68 épisodes pour 9 saisons ont été vus par neuf millions de téléspectateurs.
Affable, souriant, détendu et volubile, la cinquantaine toute fraîche, Guillaume de Quengo de Tonquédec, breton et de belle famille comme son nom l’indique, se prête, en toute simplicité, au jeu du questions réponses, sans mâcher ses mots. Puis, s’émeut de voir passer Christine Angot qui l’a si bien reçu à l'émission de Laurent Ruquier "On n'est pas couché". La veille de notre rencontre, il jouait «La Garçonnière», adaptation du célèbre film de Billy Wilder "The Appartement", représentation retransmise en direct devant 3 millions de personnes à l’occasion de la cérémonie des Molières pour lesquels le spectacle a reçu six nominations. Le comédien remontera sur les planches le soir même. Un agenda bien rempli, qui ne l'empêche pas de se montrer très disponible.
Pourquoi vous être lancé dans cette aventure littéraire ?
Au début, je ne voulais pas écrire ce livre. C’est une journaliste, Caroline Glorion, de France Télévisions, qui est venue me voir à la sortie de «La Garçonnière» et qui m’a proposé d’écrire sur mon rapport à la littérature car il était compliqué. L'apprentissage de l'orthographe et de la grammaire fut très laborieux, peuplé de cauchemars. Je m'en suis sorti grâce à ce merveilleux professeur de français, Françoise Gaillard, à qui je rends toujours hommage, qui m'a donné des cours particuliers, ainsi qu’à une psychomotricienne qui m'a permis d’apprendre à lire à voix haute. Aujourd'hui encore, quand on me propose des textes, j’ai toujours cette souffrance, ce blocage qui me revient. Alors, je me suis dit :
"Pourquoi ne pas utiliser ma popularité pour témoigner sur ce qui m’a été si difficile? Si cela peut aider ne fût-ce qu’un enfant qui se sent isolé..."
S'agit-il d'une manière pour vous de rendre la culture plus accessible?
Oui, la culture avec un grand «K» ou un grand «Q». Cette culture écrasante, qu'on enseigne si mal en France alors qu’elle devrait être un cadeau exceptionnel. La lecture, l’orthographe, la grammaire sont extraordinaires. Dans le mouvement des «Précieuses ridicules», il y a quelque chose de ridicule mais aussi de passionnant. Un gros effort est à fournir pour rendre à l’apprentissage sa notion de plaisir. La culture devrait être accessible à tous. Et non à une élite. C’est d’une grossièreté absolue.
Vous citez Depardieu. Incarne-t-il à vos yeux l’archétype de l’acteur populaire?
J’ai une admiration sans borne pour Depardieu. Pour moi, c’est un des plus grands acteurs, non pas de France, mais du monde. Quand, tout d’un coup, il s’empare d’un texte, il se passe quelque chose d’incroyable. Je l’ai vu découvrir Musset avec Catherine Deneuve, avec une profondeur et une accessibilité immédiates. C’était percutant et bouleversant. Il sublime les grands auteurs. De même, quand il chante Barbara, il se passe quelque chose d’unique.
Revenons à votre rapport aux livres. Vous écrivez que Buzzatti vous a aidé à choisir votre voie...
La lecture du «Désert des Tartares », qui est un livre assez difficile, a été déterminante pour moi. Il m’a été imposé, Dieu merci!, par mes professeurs au lycée. J’ai eu l’impression que Dino Buzzati l’avait écrit pour moi. J’ai été marqué par l’histoire de ce héros qui rêve sa vie au lieu de la vivre. Après l’avoir lu, je me suis donc dit :
"Tu veux être comédien, eh bien deviens comédien ! Ne t’oriente pas vers d’autres destins."
Je pense que des auteurs peuvent changer votre vie. Dans le même esprit, Rainer Maria Rilke, que j’ai lu vers la trentaine seulement, a touché, comme des évidences, à plusieurs points de ma sensibilité. «Lettres à un jeune poète» est un livre passionnant pour nous tous, plus encore quand on a une vocation artistique. La littérature, c’est aussi une histoire de rencontres, de phrases qui, soudain, vous parlent avec ces mots que vous n’auriez peut-être pas trouvés vous-même. Voilà pourquoi je cite Sylvain Tesson qui, dans «Les forêts de Sibérie», dit intimement ce que je ressens : «Comme lorsque l’œil découvre dans un livre la phrase que l’esprit attendait depuis longtemps sans réussir à la formuler».
Un bon livre, un bon auteur, c’est un auteur qui vous plaît. Ce n’est pas forcément Racine ou Corneille, qui sont de bons auteurs mais très complexes.
Le milieu du théâtre peut être humaniste, confrontant, formidable mais aussi sectaire à sa manière. Vous avez eu l’opportunité de jouer dans «Fais pas ci, fais pas ça» et, en même temps, vous êtes passionné par Molière et Shakespeare. Comment assumez-vous cette dichotomie?
Je pense qu’un grand auteur écrit dans son époque et non pour être joué deux cents ans plus tard. Molière écrivait pour parler de l’humanité, faire rire le roi, la cour et le parterre. Les grands auteurs le sont car ils s’adressent à leurs contemporains de façon universelle. Anne Giafferi, scénariste des deux premières saisons de «Fais pas ci, fais pas ça», est un auteur classique, selon moi, car elle a réussi à rendre la vie sans l’expliquer. Je la mettrais, de cette façon-là, sur le même plan que Shakespeare et Molière. C’est pour cela que la série – neuf saisons sur dix années – a fait un tel carton.
Cette série, justement, a-t-elle changé votre vie?
Évidemment, elle a fait de moi un acteur populaire.
Comment vivez vous cette popularité ?
"Je remercie Renaud Lepic tous les matins en me levant."
C’est un cadeau qui me rend libre de mes choix.
Vous n’avez ni le physique ni le nom du poète maudit. Vous évoquez votre côté lisse ou gendre idéal et vous référez à Cocteau qui disait: «Ce qu’on te reproche, cultive-le, c’est toi... »
C’est une phrase géniale. Une fois qu’on s’assume, la vie passe mieux. Je l’ai notée en 2016.
Vous avez donc souffert longtemps?
J’avais, en effet, l’impression qu’il fallait être tourmenté pour être acteur. Je le suis, comme tout le monde, mais je ne me répands pas sur ma tourmente. Je n’en fais pas un fond de commerce.
Est-ce qu’un chic type, de bonne famille, a sa place chez les auteurs tourmentés?
Oui, car il représente Monsieur tout le monde, ce que Billy Wilder disait à propos de Jack Lemmon, cet acteur auquel chacun peut s’identifier. Lepic a quelque chose de très touchant, qui n’a pas de représentant mais qui incarne la majorité silencieuse. C’est intéressant de s’intéresser à leur sort. J’en fais partie.
Le fait d’avoir joué Renaud Lepic vous couperait-il de rôles comme Hamlet?
Pas du tout, car Lepic a du Hamlet en lui. On a tous des angoisses abyssales, quelles qu’elles soient, mais on n’en parle pas vraiment au quotidien. On a tous des Hamlet, des Ophélie, des Œdipe en nous.
- Les Portes de mon imaginaire | Guillaume de Tonquédec | Editions de l'Observatoire | 190 pp., env. 20 €.
null