D’"articulation" à "Zarathoustra", en passant par "gargouillade"... Voici "Les 100 mots de la danse"
“Diagonale”, “écart”, “maître à danser”, “position”, …, le vocabulaire de la danse est plus que vaste.Avec “Les 100 mots de la danse”, la danseuse et philosophe Geisha Fontaine livre un abécédaire, forcément non-exhaustif, mais instructif, sensible et agréable à lire. A destination de tout public.
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Publié le 03-08-2018 à 16h00 - Mis à jour le 03-08-2018 à 20h06
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“Diagonale”, “écart”, “maître à danser”, “position”, …, le vocabulaire de la danse est plus que vaste. Avec “Les 100 mots de la danse”, la danseuse et philosophe Geisha Fontaine livre un abécédaire, forcément non-exhaustif, mais instructif, sensible et agréable à lire. A destination de tout public.
Geisha Fontaine est danseuse et chorégraphe - elle a fondé en 1998 la compagnie "Mille Plateaux Associés" avec Pierre Cottreau. Egalement docteur en Philosophie de l’art à l’université Panthéon-Sorbonne à Paris, elle est chercheuse en danse et auteure du livre "Les 100 mots de la danse", paru en juin dans la collection Que Sais-je ?.
D’"articulation" à "Zarathoustra" en passant par "diagonale", "hip-hop", "ivresse", "partenaire", "regard" ou encore "trac", Geisha Fontaine fait déambuler les lecteurs dans l’univers linguistique de la danse au gré d’un abécédaire tissé tantôt de mots simples et évocateurs tels "barre", "blessure", "chausson pointe", "pied" tantôt de termes plus techniques comme "gargouillade", "variation", "livret" ou plus abstraits ("lumières", "mémoire et oubli", "passion", "voyage",…). "La Libre" a voulu en savoir un peu plus sur la mise en place et l’écriture de ce petit ouvrage au ton pédagogique, historique et poétique.
"Les 100 mots de la danse", c’est un fameux défi vu l’ampleur de ce que recouvre le mot "danse" ?
Oui, et c’est un petit peu ce qui m’a plu. Mais dans le premier mot du livre, "& la danse", je précise quand même que, face à un champ tellement large, je vais surtout m’intéresser à la danse en tant qu’art et en Occident, même si certains mots me permettent d’évoquer d’autres pays et d’autres pratiques de danse (NdlR : le "butô" ou "danse des ténèbres" au Japon, la "tarentelle", danse traditionnelle du Sud de l’Italie). A partir de là, l’idée était d’accepter que je ne pourrais pas être impartiale et que, forcément, j’allais oublier des mots importants et que j’allais en privilégier d’autres qui, pour certains, ne le sont pas. Mais c’est un peu le défi de l’éditeur : mettre des mots qui semblent indispensables, tout en me laissant la possibilité d’être très subjective sur certains mots. Il y a donc cette double dimension.
Comment avez-vous opéré le choix de ces 100 mots ?
Il s’agit d’une collection de Que Sais-je ? qui s’appelle "Les 100 mots". Donc, au départ, c’est une commande. Une fois que j’ai accepté - c’était il y a un an -, j’ai demandé à tous mes amis de me donner trois mots par rapport à la danse. Cela m’a permis de voir les invariants. Et puis chaque jour, j’écrivais un mot ou des mots de danse qui étai(en)t le(s) mien(s). Pendant toute une période, j’ai ainsi constitué un "coffre à mots" pour partir très large puis resserrer, en sachant que certains mots figureraient bien sûr dans l’abécédaire comme "contemporain", "classique", "belle danse",… Je suis ainsi restée avec une sélection d’à peu près 150 mots. Parmi eux, certains étaient d’une même famille - par exemple, j’avais trois mots dans ma liste et je savais qu’il me suffirait de traiter d’un mot pour aborder les deux autres - et puis j’en rayais. Ma liste s’est faite peu à peu, comme une chorégraphie. Et puis, en cours d’écriture, certains mots que je ne pensais pas traiter se sont imposés ou alors ce sont des mots qui m’ont plu parce qu’ils étaient jolis, qu’ils me faisaient rêver comme la "pochette" du maître à danser. L’idée était aussi qu’il puisse y avoir des différences de longueurs dans le traitement des mots ainsi que des différences de niveaux avec certains mots indispensables et d’autres relevant de mon propre choix.
La danse, comme toute discipline, comporte un vocabulaire technique, mais que l’on retrouve finalement assez peu dans votre livre. C’est une volonté de votre part ?
Alors, d’un côté, c’est un enjeu de "Les 100 mots" - cette collection s’adresse au grand public, ici, en l’occurrence à des gens qui ne connaissent pas la danse. De l’autre, j’adore la philo, mais je n’aime pas les jargons. J’aime que les choses soient énoncées clairement.
A la lecture, on se rend compte que la danse est intimement liée à l’histoire…
Je ne suis pas historienne mais philosophe de l’art. Il y a des tas de choses que je connais parce que j’ai aussi toute une vie dans la danse, mais cet art n’est tellement pas reconnu à la dimension d’art comme il devrait l’être que je me sentais un peu responsable de montrer toutes les facettes qu’il a historiquement.
Comment qualifieriez-vous la danse ?
Pour moi, la danse, c’est joie, voyage et vie. La joie, car tout qui danse éprouve à un moment donné de la joie, sinon on ne se lancerait pas dans cette aventure ou ce métier. Le voyage, car la danse est une découverte, y compris de ses propres capacités de mouvement. Et puis, la vie, parce que la danse est un art vivant. C’est la fameuse formule de Merce Cunningham (NdlR : célèbre danseur et chorégraphe américain) : "Qu’est-ce qu’on se sent vivant quand on danse !".
---> "Les 100 mots de la danse", Geisha Fontaine, Que Sais-je ?, 2018, 128 p., 9 €
QUELQUES EXEMPLES
BARRE
Toute salle de danse se caractérise par la présence de miroirs - qui permettent aux danseuses et danseurs de vérifier leur maintien, la position des bras et des jambes et leurs mouvements, et de se corriger si besoin - et d’une ou plusieurs barres horizontales (généralement en bois), selon qu’elles soient fixées le long des murs et/ou mobiles. En danse classique, chaque classe commence par une série d’exercices "à la barre" afin de s’échauffer. Viennent ensuite les enchaînements "au milieu", c’est-à-dire sans aucun support. "Cette alliée de l’apprentissage technique est apparue au XIXe siècle, en écho au conseil des maîtres à danser, rapporte Geisha Fontaine. Dès le XVIe siècle, ces derniers recommandaient en effet aux danseurs de s’appuyer sur une chaise ou une table pour faire certains exercices". Preuve de l’importance cruciale de la barre, le danseur et chorégraphe Maurice Béjart la définissait comme suit : "La barre est à la danse ce que la colonne vertébrale est au corps : la danse tient debout grâce à la barre, et chaque fois que la danse flirte avec les mollusques, il faut revenir à la barre !" (in"Maurice Béjart, une vie", Michel Robert, Luc Pire, 2009).
EN-DEHORS
Règle de base de la technique classique, l’en-dehors n’en est pas moins une position anti-physiologique en soi. Les danseurs doivent donc la travailler dès le plus jeune âge. L’en-dehors ne provient pas des pieds (même si la première des cinq positions en danse classique correspond à une ouverture des pieds, talon contre talon, à 180 °), mais bien des jambes et des cuisses tournées au maximum vers l’extérieur à partir des hanches. Pourquoi s’infliger une telle "torture" penseront certains ? Primo, l’en-dehors donne aux mouvements davantage de grâce. Secundo, "anatomiquement, il ouvre des possibilités supplémentaires : levez la jambe sur le côté, elle sera plus haute si elle fait un en-dehors", explique Geisha Fontaine qui précise que l’en-dehors "est présenté comme bénéfique pour la danse dès le XVIIe siècle". Certains danseurs travaillent tellement leur en-dehors qu’ils en viennent à "marcher en canard", une position qui inspira d’ailleurs Chaplin pour créer la démarche de son personnage de Charlot. Et "dans les créations contemporaines, souligne Mme Fontaine, l’articulation du col du fémur tourne également à plein : dedans, dehors, parallèle".
GARGOUILLADE
Arabesque, attitude, battement, pas de bourrée, dégagé, entrechat, fouetté, gargouillade, glissade, jeté, plié, rond de jambe, sissonne,… "Le vocabulaire de la danse classique est souvent très suggestif, estime Geisha Fontaine. A l’énoncé de ces pas, on se prend à visualiser des créatures en mouvement, on s’invente une danse". Ainsi, la "gargouillade" est un saut de chat latéral "au cours duquel les jambes s’écartent tout en se repliant". "Les danseurs savent à quel point chaque mouvement est précis, quel que soit le point du globe où il est effectué", indique-t-elle. En effet, "ce vocabulaire en langue française est international depuis le XVIIIe siècle". Si la danse classique (on parle alors de "balletto" italien) est introduite à la Cour de France avec Catherine de Médicis, épouse du roi Henry II, c’est Louis XIV, passionné de danse, qui érigera le ballet classique en art, en créant en 1669 l’Académie royale de danse et de musique (aujourd’hui connue sous le nom de l’Opéra national de Paris), gardienne des préceptes en termes de pas et de mouvements, nommés en français, de la danse classique.
VIEILLIR
Nul danseur ne l’ignore : son corps est son outil de travail. Alors, "quand le corps devient moins performant, écrit Geisha Fontaine, sonne souvent l’heure de se retirer de la scène. En conséquence, l’âge auquel cesser de danser varie selon les styles de danse". Ainsi, fin mars dernier, la danseuse étoile de l’Opéra de Paris Marie-Agnès Gillot tirait sa dernière révérence, à 42 ans, âge de la retraite traditionnelle à l’Opéra. Mais "une fois que la virtuosité n’est plus possible, souligne la philosophe, certains dansent encore, autrement". A l’image d’Alicia Alonso, légende de la danse classique cubaine, qui a dansé jusqu’à 73 ans. Ou de la danseuse et chorégraphe française Marie-Claude Pietragalla qui, à 55 ans, est toujours sur scène avec sa compagnie "Le Théâtre du corps" et voit la vieillesse comme "une richesse". "En danse contemporaine, ajoute Mme Fontaine, il semble plus aisé de vieillir et de danser encore. La virtuosité ne résidant pas forcément dans la réalisation de prouesses physiques, l’âge joue un moins grand rôle". Pensons à la danseuse africaine Germaine Acogny qui, à 74 ans, livrait en mars à Bruxelles un magnifique solo, "Mon élue noire (Sacre#2)".