Lisa Halliday romance sa liaison avec un grand écrivain américain
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Publié le 13-09-2018 à 14h08 - Mis à jour le 13-09-2018 à 14h09
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Où Philip Roth devient, sous un autre nom, personnage de fiction.C’est accompagné d’une aura extra-littéraire que nous parvient d’Amérique Asymétrie, le premier roman de Lisa Halliday, celle-ci ayant reconnu que l’un de ses personnages principaux, Ezra Blazer, n’était autre - à quelques détails près - que Philip Roth. Au début des années 2000, alors qu’elle travaillait à New York dans la prestigieuse agence littéraire d’Andrew Wylie (qui défend notamment les intérêts de Salman Rushdie, Orhan Pamuk, Bob Dylan, Roberto Saviano, James Ellroy ou… Edouard Louis), elle rencontre l’auteur de Portnoy et son complexe avec lequel elle entretient bientôt une relation. Près de cinquante ans les séparent. C’est leur histoire qui est pour partie retracée dans la première partie d’Asymétrie.
L’effet de curiosité joue certainement chez nombre de lecteurs : comment était ce géant des lettres américaines dans l’intimité ? On découvre Ezra Blazer/Philip Roth extrêmement généreux (il offre sans cesse à sa chérie des cadeaux, dont des livres, et rembourse la fin de son prêt étudiant) mais aussi traversant quelques soucis de santé, préférant l’appeler sous numéro masqué et en plein processus d’écriture. Leur quotidien est retracé avec piquant, leurs échanges sont enlevés. L’élève a clairement beaucoup retenu du maître. Quant à savoir ce qui relève de la réalité et de la fiction, seule Lisa Halliday en connaît la stricte frontière. Elle qui fait dire à Ezra Blazer, dans l’interview radiophonique qui clôt le volume : "Mais ce serait vain […] de s’embourber dans cet exercice qui consiste à essayer de séparer la vérité de la fiction, comme si le romancier n’avait pas jeté aux orties ces deux catégories enquiquinantes, à juste raison." Il n’empêche, c’est sous couvert de fiction que le lecteur cherchera sans doute à approcher une certaine vérité.
Après 160 pages, le roman change abruptement d’univers et de personnages. Bloqué dans un aéroport londonien, Amar se débat avec des contrôleurs tatillons. Il ne devait passer que quelques jours chez un vieil ami avant de rejoindre la Turquie, mais les autorités mettent en doute ses explications. Né en 1976 dans l’avion qui emmenait sa famille d’Irak aux Etats-Unis, ce diplômé d’une université américaine a pourtant un parcours exemplaire. Le temps de l’attente est pour lui le temps d’un retour sur son passé, sur les conflits armés, sur la destinée de l’Irak, mais aussi sur la difficulté de vivre avec deux passeports et deux identités quand votre pays d’accueil déclare la guerre à la terre de vos ancêtres. "Si vous dissolvez l’armée, que vous virez tous ceux qui travaillent pour le gouvernement et privez les gens de leur gagne-pain, de leurs revenus et de leur fierté, qu’espérez-vous ? Vous croyez qu’ils vont rester sur leur arrière-train et jouer au parcheesi jusqu’à ce que vous vous pointiez à leur porte et leur tendiez un bulletin de vote ?"
Asymétrie s’achève sur une ultime section, la retranscription d’une émission radio ayant pour invité Ezra Blazer, à qui vient d’être attribué le Nobel de littérature (!!). Se mêlent alors choix musicaux et confidences. Prise isolément, chacune des trois parties est brillante, un peu trop parfois, mais l’ensemble ne se départit pas d’une impression de fabriqué qui laisse perplexe. L’exploration d’une même thématique - les jeux de pouvoir - apparaît trop ténue pour apporter une cohérence. Certes l’élève a beaucoup appris du maître, mais que serait ce roman s’il n’était signé de l’élève ?
Asymétrie Lisa Halliday traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Cohen Gallimard 342 pp., env. 21,50 €