Décès d'Elzbieta Violet : l'enfance était son royaume
C'est un grand nom, une figure incontournable de la littérature jeunesse qui vient de nous quitter. Elzbetia Violet est morte le 8 octobre dernier Son décès vient seulement d'être annoncé. Auteure d'une soixantaine de livres pour enfants, artiste plasticienne, elle laisse derrière elle une oeuvre majeure. Sa mère ne sembla jamais l'aimer
- Publié le 11-10-2018 à 19h09
- Mis à jour le 14-10-2018 à 11h25
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Rencontrer, lire, écouter Elzbetia, figure majeure de la littérature jeunesse, plasticienne et auteure illustratrice d'une soixantaine d'enfants, c'est ne jamais l'oublier.
Exilée, d'origine polonaise, privée de ses proches, Elzbetia Violet, née en 1936, passe les premières années de sa vie en Alsace occupée, puis en Grande-Bretagne avant de vivre à Paris. Elle passe du polonais au français, de l'alsacien à l'allemand puis à l'anglais. Les mots auront pour elle un autre sens.
Elle ne ne s’en cache. Son enfance fut malheureuse. À cause, bien sûr, de sa double nationalité, franco-polonaise — qui contraint sa mère, veuve de guerre à fuir ,en 1939, un pays coincé entre l’oppression bolchevique et l’envahisseur nazi. Mais aussi, en raison de la personnalité d’une femme qui, bien que l’ayant mise au monde, ne sembla jamais l’aimer. Si bien que, lorsqu’Elzbieta la retrouve, sur le quai d’une gare anglaise, après plusieurs années de séparation, elle croit recevoir le baiser de la Reine des neiges.

« La vache, c’est moi, en train de courir après l’affection de ma mère. Elle avait d’ailleurs une jupe avec des feuilles comme celle-là» , confiera-t-elle, en interview, en commentant l'illustration d'une vache la langue pendue, couchée sur une mère qu’elle cherche à embrasser. “ C’est mon livre le plus autobiographique» précisera-t-elle à propos de Es-tu folle, Cornefolle ?
Chez Elzbetia, qui aime aussi les fables sur le temps qui passe, les ours ne vieillissent pas, ils grandissent, tout simplement. Les bébés, eux, disparaissent, pas parce qu'ils meurent mais parce qu'ils deviennent des grandes personnes.

Grande sensibilité
Très vite, elle connaît le deuil, son sens et sa douleur. Rarement faciles, on l'a compris, ses relations avec sa mère distante, ont accru sa sensibilité et son écoute aiguisée au monde.
" Pendant la guerre, ma mère est restée avec sa fille aînée et m’a confiée à ma marraine. Après, elle m’a reprise, tout en ne supportant pas mon existence ” nous confiait-elle lors de notre rencontre à Bruxelles en 2010.
L'enfance était son royaume. « Ma complicité avec les enfants vient du fait que j’ai choisi d’être artiste. Il y a quelque chose de commun entre la perception des enfants et celle des artistes. C’est la capacité d’oublier ce que l’on sait pour retrouver les choses. Chez l’adulte, le cognitif l’emporte sur le sensitif. La mémoire est un handicap pour la création” comme Elzbieta le raconte dans “L’Enfance de l’Art” (Ed. du Rouergue, 1997), un ouvrage précieux pour qui désire mieux la connaître, et dans lequel elle parle de son approche artistique.
“L’enfant et l’artiste habitent le même pays. C’est une contrée sans frontières. Un lieu de transformation et de métamorphoses. Les mots y vivent en vrac, se quittent ou se rassemblent en troupeau de hasard; les chats y abandonnent des sourires en croissant de lune dans les feuillages” .

Flon-Flon et Musette
Elle osait aborder la gravité auprès des plus jeunes, comme l'a prouvé un de ses titres les plus célèbres, Flon-Flon et Musette (Pastel, 1993) ou cette amitié aussi forte qu'interdite entre deux enfants de deux camps différents en temps de guerre. Un album tant de fois étudié, critiqué et encensé dans les classes. S’il parle de la guerre, il raconte surtout comment l’enfant l’a vécue, de l’autre côté de la fenêtre, loin des canons et près de sa maman. “ La fenêtre est la frontière entre tout ce qui est mal”.
Du côté des récits, elle aborde diverses questions et sentiments tels que la jalousie, parfois très féroce chez les petits, comme elle le montre dans La pêche à la sirène. "La sirène est un personnage très important pour moi. Je ne me sens pas Polonaise mais la sirène est l’emblème de Varsovie".
A propos de la mort
Dans une société où on tente de cacher la mort aux enfants, de leur épargner les veillées ou les enterrements, elle reprend, dans Petit lapin Hoplà (Ecole des loisirs/ Pastel, 2001), chaque acte posément sans laisser de place apparente aux sentiments. Les dessins sont doux, sobres, de couleurs passées et très posés. Comme dans tous ses albums, chacun d'entre eux parle de lui-même et prouve qu'il ne faut pas toujours voir grand quand on dit vrai. Le Petit Lapin ne risque plus de voir la vie en rose. Il s'est fait faucher par la voiture du renard, emmener à l'hôpital par le chien, est mort alors que la souris le veillait et le tout fut annoncé par sieur le coq. Il faudra encore faire le cercueil, creuser la tombe et conduire le deuil de ce petit lapin. Chacun aura son propre rôle dans le rituel funéraire. Mais qui pleurera le petit lapin Hoplà?

Cet album est souvent choisi par des parents ou enseignants pour parler de la mort avec les petits.
On trouve aussi dans sa bibliographie, des livres dont le papa est absent. Dans le genre, Bibi est un vrai modèle qui traite avec délicatesse, tristesse et réalisme de la douloureuse joie de l'enfant roi.

Son premier livre, Petit Mops, publié en 1972 dans divers pays, n’a été édité en France qu’en 2009 dans un volume qui réunit quatre albums d’une grande modernité. Il dévoile un tracé épuré, noir et blanc, une ligne du mouvement continu qui relie Petit Mops au monde qui l’entoure.
D’un album à l’autre, ses techniques varient, des gravues anciennes, comme dans Grimoire de sorcière (Ecole des loisirs/ Pastel, 1990) ou Le Petit navigateur illustré (Ecole des loisirs/Pastel, 1991), à la plus grande simplicité en passant par des inspirations plus graphiques, selon des secrets de fabrication qu’elle refuse de dévoiler. Elle aime, en revanche, répéter que son procédé préféré n’est autre que l’imprimerie, source de tant de possibles.
Elzbieta a toujours été persuadée de la gravité qu’il faut accorder aux créations destinées à l’enfance. Raison pour laquelle, sans doute, ceux-ci l’ont toujours prise au sérieux.
La réaction Danielle Dastugue, qui fut son éditrice
Très émue par son décès, son ancienne éditrice, Danielle Dastugue, fondatrice des éditions du Rouerge, nous dit combien elle aimait « son intelligence, sa finesse, cette espèce de discernement , de clairvoyance qu'elle avait, sa façon de respecter les enfants, de les considérer comme des êtres d'une grande intelligence et doués d'humour» .
Bibliographie
"Petit Mops" (Grande-Bretagne, 1972)- "Dikou et le tristounet" (Duculot, 1984)
- "Dikou le petit troun qui marche la nuit" (Hachette, 1984)
- "Dikou et le bébé étoile" (Duculot, 1988)
- "Larirette & Catimini", l'école des loisirs Pastel, 1988
- "La Mer est très mouillée", l'école des loisirs Pastel, 1988
- "Ma petite fille est toute petite", l'école des loisirs Pastel, 1988
- "Bon appétit, Catimini!", l'école des loisirs Pastel, 1988
- "Grimoire de sorcière", l'école des loisirs Pastel, 1990
- "Un Porcelet tout nu", l'école des loisirs Pastel, 1990
- "Polichinelle et moi", l'école des loisirs Pastel, 1991
- "Es-tu folle, Cornefolle?", l'école des loisirs Pastel, 1991
- "Le Petit navigateur illustré , l'école des loisirs Pastel, 1991
- "La pêche à la sirène", l'école des loisirs Pastel, 1992, réédition, Rouergue, 2008
- "Flon-Flon et Musette", l'école des loisirs Pastel, 1993
- "La Nuit de l'étoile d'or", l'école des loisirs Pastel, 1993
- "Un Amour de Colombine", l'école des loisirs Pastel, 1994
- "Clown , l'école des loisirs Pastel, 1994
- "Saperli et Popette", l'école des loisirs Pastel, 1994
- "Trou-Trou , l'école des loisirs Pastel, 1995
- "Le Mariage de Mirliton", l'école des loisirs Pastel, 1995
- "Petit-Gris , l'école des loisirs Pastel, 1995
- "Le Mystère du chat ensorcelé", l'école des loisirs Pastel, 1996
- "Qui? Où? Quoi?", l'école des loisirs Pastel, 1996
- "Où vont les bébés?", l'école des loisirs Pastel, 1997, réédition, Rouergue, 2008
- "Bibi", l'école des loisirs Pastel, 1998
- "Toi + Moi = Nous", l'école des loisirs Pastel, 1998
- "Le Voyage de Turlututu , l'école des loisirs Pastel, 2000
- "Dragon vole , l'école des loisirs Pastel, 2000
- "Échelle de magicien , l'école des loisirs Pastel, 2000
- "Petit lapin Hoplà , l'école des loisirs Pastel, 2001
- "Petit Frère et Petite Sœur , Albin Michel, 2001
- "Gargouilles, Sorcières et compagnie", Rouergue, 2002
- "Petit Couci-Couça", Rouergue, 2004
- "La Maison de Couci-Couça", Rouergue, 2004
- "Le Voyage de Couci-Couça", Rouergue, 2004
- "Oui", Rouergue, 2006
- "Images Images", L'Art à la page, 2008
- "La Pêche à la sirène", Rouergue, 2008
- "Petite Lune", Rouergue, 2008; réédition Actes Sud Junior, 2013
- "Hocus Pocus", Rouergue, 2009
- "Petit Mops", Rouergue, 2009
- "L'École du soir", photos de Vincent Tessier, Rouergue, 2010
- "L'Écuyère", Rouergue, 2011
- "Le Troun et l'oiseau-musique", conception musicale de Sharon Kanach, Rouergue, 2012
- "Petit Fiston", Rouergue, 2013
- "Les aventures rocambolesques de l'oncle Migrelin", Rouergue, 2016
- "L'Enfance de l'art" (Rouergue, 1997, rééditions 2005 et 2014)