"Frère d’âme", magnifique roman sur la guerre 14-18 vue par un tirailleur sénégalais
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 29-10-2018 à 16h21 - Mis à jour le 24-01-2020 à 16h43
:focal(1368x1310.5:1378x1300.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/C5AFDE5ZM5FBHI2H4QKEFIPSEQ.jpg)
Comment l’horreur engendre la folie. Comme un chant obsédant.Les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale nous ont valu des romans formidables qui ont renouvelé notre vision de l’absurdité et de l’hypocrisie monstrueuse qui a présidé à 14-18. Après les magnifiques Guerre et térébenthine de Stefan Hertmans et Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, il faut dorénavant ajouter Frère d’âme de David Diop.
L’auteur, né à Paris, a grandi au Sénégal et enseigne à l’université de Pau. C’est son second roman et il est toujours en lice pour les prix littéraires. Il revient sur les 160 000 Africains emmenés par la France combattre dans nos tranchées qu’il compare au sexe "d’une femme ouverte, offerte à la guerre, aux obus et à nous, les soldats."
La voix est celle d’Alfa Ndiaye qui vient de voir mourir devant lui, son "plus que frère" Mademba Diop. Le commandant français leur avait raconté des bobards : "Vous les chocolats d’Afrique noire, vous être naturellement les plus courageux parmi les courageux. La France reconnaissante vous admire". Mais il voit bien qu’ils sont venus juste pour être la chair à canon d’une guerre qui n’est pas la leur. Et quand Mademba Diop, tripes à l’air, le supplie de l’achever et qu’il en est incapable, Alfa Ndiaye sombre dans la folie.
Les jours suivants, il se glisse au sein des lignes ennemies et attrape un Allemand aux yeux bleus, l’éventre à son tour et ramène au camp une main coupée tenant encore un fusil. Au début, il est un héros mais après sept mains, il fait peur : "Sur le champ de bataille, se dit-il, on ne veut que de la folie passagère. Des fous de rage, des fous de douleur, des fois furieux, mais temporaires. Pas de fous en continu". Il est évacué à l’arrière et pris en charge par un psychiatre.
Toute la deuxième partie du roman est alors ses souvenirs du Sénégal : sa mère, son père paysan, son ami Mademba, les légendes qu’on lui racontait, la belle Fary qui lui a offert son corps juste avant son départ comprenant - elle - qu’il ne reviendrait pas intact. Des histoires belles et douces comme un ultime rempart à la folie des tranchées.
L’écriture de David Diop est splendide, avançant pas à pas, avec des répétitions comme dans une litanie ou le chant d’un griot. Une écriture qui nous encercle, qui nous submerge, qui nous entraîne et qu’on ne lâche pas.
Frère d’âme David Diop Seuil 175 pp., env. 17 €