Celle qu’on appelait la Sorcière a été retrouvée morte, la gorge tranchée
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Publié le 02-05-2019 à 09h48 - Mis à jour le 02-05-2019 à 13h27
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Fernanda Mechor livre un portrait sans fard du Mexique d’aujourd’hui. "On dit que la région est en ébullition, qu’on a dû envoyer la marine de guerre pour y mettre de l’ordre. On dit que la chaleur est en train de rendre les gens totalement fous […]. Que la saison des ouragans qui approche sera violente." Du Mexique nous parvient une voix singulière, envoûtante. S’inspirant d’un fait divers, Fernanda Melchor (Veracruz, 1982) part de la découverte d’un cadavre pour remonter le fil des événements qui y a conduit. Il y a des mots crus, des couleurs, de l’urgence dans le flot ininterrompu qui constitue ses chapitres. Il y a de la violence, de l’inconséquence, de la souffrance dans les vies dépeintes. Le tout formant une alchimie maîtrisée.
Sulfureuse réputation
Crainte mais aussi respectée, celle qu’on appelait la Sorcière est retrouvée morte, la gorge tranchée, dans un canal d’irrigation près de La Matosa. Rituels magiques, sortilèges, guérisons, envoûtements, avortements clandestins : nombreuses étaient les femmes qui avaient recours à ses pouvoirs. Un trésor prétendument caché dans sa sordide demeure achevait de sceller la sulfureuse réputation de la malheureuse. C’est d’ailleurs ce que convoitaient les trois dernières personnes à l’avoir vue : Luismi, Munra et Brando.
Précise, Fernanda Melchor retrace la généalogie des méfaits de chacun d’eux. Tous ont en commun de vivre dans une extrême pauvreté. La drogue, le sexe, la violence semblent avoir tout dévoyé. On boit jusqu’à en perdre conscience, on prend des médicaments pour s’abrutir, on assouvit ses pulsions dans l’instant, on brutalise femmes et enfants sans états d’âme.
Munra s’en défend : il n’aurait été que le chauffeur des deux autres. Brando, qui n’a d’autre ambition que de voler le trésor de la Sorcière pour s’inventer une nouvelle vie ailleurs, a peiné à s’assurer l’aide de Luismi. Jusqu’à ce que ce dernier comprenne que l’état préoccupant de Norma, une adolescente de treize ans qu’il présente comme sa femme, est dû à l’intervention de la Sorcière. Rien n’arrêtera désormais le funeste trio dans son délire. La police, elle, préférera s’intéresser au sort du fameux magot plutôt que de démasquer le(s) coupable(s).
Une Sorcière et des femmes
Au-delà de l’attachement de l’auteur à offrir à la Sorcière de La Matosa (et, à travers celle-ci en particulier, toutes celles qui ont existé au fil du temps) un vibrant hommage et une forme de défense, c’est à toutes les figures féminines croisées dans cette Saison des ouragans que l’on s’attache d’abord. Yesina, recueillie par sa grand-mère, qui doit veiller sur une ribambelle de cousins. Norma, qui pallie les manquements de sa mère mais doit se résoudre à fuir pour dissimuler la grossesse qui la condamne aux yeux des siens. Ce sont des vies piétinées qui s’offrent à nous mais la langue puissante de l’auteur fait que jamais on n’ait envie de détourner le regard. Malgré les (rares) mains tendues, malgré les mises en garde, une implacable fatalité ne cesse de s’abattre, accentuée par cette chaleur qui affole les esprits. Au final, les femmes du village le diront : il n’y avait pas d’or chez la Sorcière. Comme si la fin de cette perspective anéantissait toutes les autres. De ce fascinant portrait du Mexique d’aujourd’hui, l’on sort ébouriffé.
Fernanda Melchor | La saison des ouragans | traduit de l’espagnol (Mexique) par Laura Alcoba | Grasset | 285 pp. Prix env. 20 €

EXTRAIT
" (...) et tout cela était arrivé juste après sa dispute avec la Sorcière. (...) A présent elle était sans doute en train de faire des rituels magiques contre lui, contre lui et Norma, pour les détruire, et Munra pendant ce temps regardait avec anxiété l'écran de son téléphone, puis il se tournait vers la piste de danse, non pas parce que les filles grassouillettes qui y dansaient, collées les unes aux autres, l'intéressaient, mais parce que le seul fait d'entendre parler de la Sorcière le rendait nerveux et mal à l'aise, le gamin le savait pertinemment, il savait très bien que Munra n'aimait pas trop savoir ce que les jeunes du village faisaient avec cette grande folle."