Être écrivain arabe israélien et vivre aux États-Unis
Naître dans une famille palestinienne, avoir grandi dans la petite ville arabe israélienne de Tira et voir ses enfants s’intégrer naturellement à la langue et la culture juives est une situation complexe sur laquelle l’écrivain et chroniqueur à Haaretz Sayed Kashua a construit ses livres. Le dernier n’échappe pas à la règle.
Publié le 08-05-2019 à 18h47 - Mis à jour le 15-04-2020 à 13h22
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Les questions et contradictions de Sayed Kashua. Naître dans une famille palestinienne, avoir grandi dans la petite ville arabe israélienne de Tira et voir ses enfants s’intégrer naturellement à la langue et la culture juives est une situation complexe sur laquelle l’écrivain et chroniqueur à Haaretz Sayed Kashua a construit ses livres. Le dernier n’échappe pas à la règle. Ayant choisi, en 2014, de vivre aux États-Unis avec sa famille, il y observe désormais à distance les déchirements, contradictions, suspicions ou humiliations que génère son identité brouillée. Pour écrire en hébreu, il ne se pose pas moins avec insistance des questions sur son histoire, ses origines, le mal du pays, les comment d’un dialogue qui ne se noue pas. Les modifications est construit sur ce terreau-là.
Au départ, le roman semble assez confus. Les temps, les lieux se mêlent. On ne saisit pas toujours où l’on est ni où l’on va. On tente d’attraper un bout comme dans une pelote de fils très serrés… Qui se dénoue peu à peu. Au prétexte d’une interview qu’il doit faire en Israël, le narrateur quitte sa femme - qu’il est seul à appeler Palestine ! -, sa fille et ses deux fils avant de s’embarquer à l’aéroport de Chicago où il réside. En réalité, c’est son père, en séjour à l’hôpital suite à une crise cardiaque, qui a souhaité le revoir après leur longue séparation due à un article de jeunesse jugé déshonorant. Retrouvant ses paysages familiers, les émotions l’assaillent. Celle d’une chanson arabe entendue par hasard, d’une goutte de café sur la langue, d’un bar de Jérusalem où il avait ses habitudes… La nostalgie aidant, il nous égare dans les détails de sa vie d’hier, d’aujourd’hui, de là-bas, d’ici. Mais dans le même temps, il en épingle les mensonges, les erreurs, les compromissions, les échecs. Le récit s’éclaire.
Dilemmes et paradoxes
Condamné quatre ans avant son départ d’Israël pour alcoolisme au volant, il s’est retrouvé chargé d’un atelier d’écriture dans une maison de retraite de Jérusalem. Tous les pensionnaires voulant raconter leurs souvenirs et en faire une autobiographie, il les aide en apportant subrepticement des modifications à leurs textes afin de les enjoliver et de leur plaire. C’est pourtant la biographie de son père qu’il souhaite rédiger. Or, le père qui n’a rien demandé s’intéresse à lui : "Dis-moi toi". Superposant les deux voix et sublimant sa vie actuelle, il livre des récits de son enfance, sa vérité sur les incompréhensions liées à son départ, les moqueries et le mépris endurés, les pourquoi de son mariage sans chaleur "avec une femme qui se conduisait comme une veuve le jour de ses noces", sa vision de Tira, sa ville natale tellement changée, la distance ressentie avec ses frères, son envie de recommencement, de réconciliation. De vie, en définitive.
On trouve, surtout dans la seconde partie, beaucoup d’émotion à ce livre où interviennent allégories, rites religieux et traditions populaires et où les rêves que l’on se fait pour survivre participent d’une réalité blessante. Sayed Kashua, jouant de symboles, interroge beaucoup. "Qu’est-ce que tu racontes à tes enfants, toi-même ?" avait demandé le père. "Je n’ai encore rien décidé. Je n’ai que les débuts mais aucune histoire complète", avait répondu le fils. C’est là, sans doute, à son destin sans avenir clair, que se situent les dilemmes et paradoxes de cet écrivain arabe de 44 ans, citoyen d’Israël et vivant aux États-Unis.

Les modifications Roman De Sayed Kashua, traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, Éditions de l’Olivier, 256 pp. Prix env. 22 €