Arnaud Cathrine et Marguerite Duras
L’écrivain capte le quotidien, entend les regards, livre des récits brefs, intenses, fulgurants.
Publié le 10-05-2019 à 17h50
L’écrivain capte le quotidien, entend les regards, livre des récits brefs, intenses, fulgurants. L’heureux homme. Il l’aurait rencontrée, lui aurait parlé, au pied des Roches Noires, l’immeuble dans lequel elle avait un appartement à Trouville. Assis tous deux face au Havre, il lui aurait annoncé que le temps allait se lever. Elle lui aurait demandé s’il est d’ici. "Comme vous", aurait-il répondu, entre Paris et la Normandie. Il est vrai qu’il savait tout d’elle, de son besoin de citron et d’Earl Grey. Il lui parle de l’importance du silence, de l’omniprésence des écrans, des informations, qu’elle avait dénoncé avant les autres. Elle lui trouve un air triste. "Désespéré", précise-t-il. "C’est la litière première, le désespoir, c’est là qu’on dort, qu’on vit. C’est la maison le désespoir. Mais c’est vivable." Si Marguerite le dit… L’une des plus belles nouvelles du recueil d’Arnaud Cathrine, J’entends des regards que vous croyez muets, un genre dans lequel excelle l’auteur d’une vingtaine de livres dont Pas exactement l’amour (Verticales), salué en 2015 par le Prix de la nouvelle de l’Académie française.
Voix sans ambages
Avant cela, il y eut, entre autres, Le journal intime de Benjamin Lorca (Verticales) ou La disparition de Richard Taylor (Verticales), dans la digne continuité des premiers écrits, pour la jeunesse, publiés à L’école des loisirs qui fit connaître cette voix brève, sans ambages, différente et juste, là où, chez d’autres, les originalités respirent les effets de manche. Arnaud Cathrine, et ce nom souvent estropié en raison de sa ressemblance au prénom, a le sens, non de la formule, mais du phrasé, cherchant à dire l’essentiel. "Plus il vieillit, plus les histoires sans lendemain tendent à ne même plus avoir d’aujourd’hui."
Des Buttes-Chaumont au Canal Saint-Martin, de Montmartre à Montparnasse, de la dune du Pyla au Bassin d’Arcachon, de la Bretagne à la Normandie, il nous balade à travers les incontournables et les éclaire de son regard, d’instants observés, interprétés, racontés à la manière du voleur de mots qu’il dit être de mère en fils. Puisqu’il va jusqu’à livrer ces quelques écrits griffonnés sur une nappe de papier par celle qui lui a donné le jour.
Histoires courtes
Histoires courtes, supposées jusqu’à certaines chutes inattendues. Comme ce lunch partagé dans un snack bio-bobo, entre un père, beau-père ou parrain et son fils, beau-fils ou filleul. Une relation proche et lointaine, imaginée par l’auteur, jusqu’à la découverte de ces pieds entrelacés, sous la table, venus en raconter une autre version. Ou cette rencontre avec un ami d’enfance auquel il n’a plus rien à dire, un sentiment d’illégitimité à l’enterrement de sa mère auquel il dut, lui, l’écrivain, lire un texte, la culpabilité de prendre trop de place, en raison de ce statut parfois lourd à porter.
Il y aura aussi les Syriens obligés de déplacer leur campement de fortune pour un échafaudage, Eddy, le frère mort de Kevin, dans une ambiance de banlieue, la solitude plus grande encore le dimanche, ou ce psy qui sait tant de lui. En tout, soixante-cinq récits brefs, une ou deux pages à peine. Des fulgurances.

J’entends des regards que vous croyez muets Nouvelles De Arnaud Cathrine, Verticales, 178 pp. Prix env. 18 €