Le mystère de "la valise mexicaine"
À travers ce premier roman, Isabelle Mayault fait revivre trois photographes de légende : Capa, Taro et Seymour.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 10-05-2019 à 17h47
À travers ce premier roman, Isabelle Mayault fait revivre trois photographes de légende : Capa, Taro et Seymour. L’affaire fit grand bruit en 2007. Les 4 500 photos de Robert Capa et de ses deux amis, Gerda Taro, sa compagne d’alors qui fut stupidement écrasée, à 26 ans, par un char loyaliste dans un accident en juin 1937, et David Seymour, surnommé "Chim", photos qui avaient disparu dans la tourmente de 1939 et qu’on désespérait de retrouver, réapparurent miraculeusement, 70 ans plus tard, à New York, chez Cornell Capa, le frère de Robert Capa.
La "valise mexicaine" comme on la surnomma, était en réalité trois boîtes cartonnées contenant, bien rangés, 126 rouleaux de négatifs des photographies préservés par le climat chaud et sec du Mexique. Ces photographies éclairaient la guerre d’Espagne et ses horreurs (les batailles de Madrid, de Teruel, du Rio Segre, de Brunete, la défense de Barcelone, l’exode forcé des miliciens vers les camps d’internement en France). Elles permettaient de mieux comprendre le travail fantastique de ces trois baroudeurs, grands artistes, partisans acharnés de la cause de la démocratie contre la barbarie fasciste qui se dévoilait en Espagne.
Les trois furent les précurseurs du reportage de guerre moderne. Ils avaient pris tous les risques. Robert Capa disait : "Si une photo n ’ est pas bonne, c ’ est que vous n’êtes pas assez près ". Gerda Taro en est morte et Robert Capa aussi, qui sauta sur une mine, en 1954, lors d’un reportage sur la guerre en Indochine.
Dans un premier roman très réussi, Isabelle Mayault s’empare de cette histoire et de son mystère : comment la valise est-elle arrivée à Mexico ? Pourquoi son contenu ne fut-il révélé que si tard ?
Elle mêle des éléments fictionnels à la réalité. On suit Jamon, vidéaste mexicain, qui hérite de cette valise à la mort de sa cousine, actrice un peu fantasque, qui l’avait elle-même reçue de sa tante Maria qui vivait à Lisbonne et avait eu une liaison avec Chim. Ce dernier avait voulu sauver ces films de la tourmente à venir sur le continent européen en les confiant à des Mexicains en 1939.
Un trésor
Jamon se sent dépositaire d’un trésor un peu mystérieux auquel il ne peut toucher. Il doit les préserver comme une relique léguée par sa chère cousine : "Je leur en voulais d’accuser, de leur présence docile dans mes piles de draps bien repassés, le vide laissé par ma cousine, qui vaquait dans le monde sous une forme désormais inaccessible. La fonction de gardien impliquait autant de les protéger que de les dissimuler."
Peu à peu, en découvrant la portée de cette "valise", en regardant ces images d’une Espagne en pleine guerre où nationalistes et républicains s’affrontaient dans les pires horreurs, Jamon (alias Luca) se décide in fine à donner ces négatifs au frère de Capa.
Par de courts chapitres, remontant le temps, on découvre les protagonistes de cette histoire et on se retrouve autant à Mexico qu’en Espagne, auprès de ces trois photographes de légende.
Dans ce roman, la passion amoureuse joue un grand rôle et ce sont surtout les femmes qui apparaissent omniprésentes, courageuses, assumant la transmission de ce trésor. Jusqu’à la dernière amoureuse de Jamon, qu’il soupçonne de n’être qu’une émissaire chargée de lui soutirer les négatifs.
Isabelle Mayault fait revivre ce trio magique de photographes en nous racontant une histoire romanesque et éclairante.

Une longue nuit mexicaine Roman De Isabelle Mayault, Gallimard, 266 pp., Prix env. 21 €
Gerda Taro, farouchement libre
Le roman Regarder de Serge Mestre vient avec bonheur compléter l’histoire de la valise mexicaine est du trio mythique de photographes (lire ci-contre) en racontant la vie de Gerda Taro, la moins connue des trois, celle qui fut la compagne de Capa et qui mourut lors d’un reportage sur le front de la guerre civile espagnole, écrasée accidentellement par un char T-26, en juin 1937.
Les photographies retrouvées dans la valise mexicaine ont donné un nouvel éclairage à la vie quotidienne du trio. On y voit celle de Gerda Taro avec des enfants dans les arbres suivant l’entraînement des troupes communistes. Celles prises par leur ami Fred Stein du couple Capa-Taro au café du Dôme à Montparnasse, et qui se trouvait dans la "valise", ou celle de Robert Capa photographiant Gerda Taro endormie sur un lit de fortune, ou encore celle de Fred Stein montrant Gerda Taro devant sa machine à écrire.
On y a trouvé l’ultime photographie prise par Taro : trois jeunes soldats ayant interrompu le chargement de leur camion pour prendre la pose. Et l’ombre de Taro apparaît sur l’image.
Ces artistes étaient jeunes, beaux, courageux, de vrais personnages d’Hemingway, plongés dans la réalité la plus dure. Ils ont donné leur vie pour témoigner d’une guerre atroce que l’Europe laissa faire. Les "trois d’Espagne", tous les trois juifs, tous les trois originaires d’Europe centrale, contribuèrent aussi, de manière très contemporaine, à créer le mythe Capa avec son génie et son charme un peu canaille. Mais ce mythe a repoussé dans l’ombre les deux autres.
Jamais la femme d’un seul homme
Serge Mestre restitue la personnalité forte et indépendante de Gerda, qui mena sa trop courte vie comme elle l’entendait. Elle ne voulait appartenir à personne. Elle affirmait à ses amants successifs qu’elle ne serait jamais la femme d’un seul homme. Elle refusait de devenir une photographe reporter objective, préférant être celle qui témoignerait devant le monde de l’horreur des troupes de Franco. "On n’a pas le droit de ne pas prendre parti."
Elle fut aussi une féministe révoltée quand elle vit que ses photos étaient envoyées aux magazines avec le crédit de "Photo Capa", sans son propre nom. Elle voulait qu’elles lui soient bien normalement attribuées. "L’ancienne élève (de Capa) ne se laisserait dorénavant plus marcher sur les pieds, un point c’est tout. Robert Capa a d’abord pris cela comme une douche froide, puis il s’est montré extrêmement inquiet devant la violente tournure prise par ce qu’il considérait n’être qu’un simple différend avec son amoureuse."
On dit que Robert Capa, lui-même mort dans l’exercice de son métier, dix-sept ans plus tard, ne s’est jamais remis de la disparition de son premier amour.
Le couple Capa-Taro état un double pseudonyme. Leurs noms étaient Gerta Pohoroylle et André Friedmann. Regarder de Serge Mestre permet de revivre ces moments d’exaltation, de militantisme, en y croisant Aragon, Hemingway, Saint-Exupéry. Mais le roman est aussi une ode à la manière forte et signifiante avec laquelle Gerda Taro regardait le monde et le scrutait dans ses photographies. Elle le voyait en train de sombrer dans la barbarie.

Regarder Roman De Serge Mestre, Sabine Wespieser, 224 pp. Prix env. 19 €