Tout est affaire de départ
"À sa sortie, en 1959, Une saison à Hydra a été salué par les critiques pour sa beauté et son originalité", rappelle Sybille Bedford dans sa préface. L’une comme l’autre n’ont rien perdu de leur éclat soixante ans plus tard, à l’heure où ce roman est enfin traduit en français.
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Publié le 17-05-2019 à 14h48 - Mis à jour le 17-05-2019 à 15h21
"À sa sortie, en 1959, Une saison à Hydra a été salué par les critiques pour sa beauté et son originalité", rappelle Sybille Bedford dans sa préface. L’une comme l’autre n’ont rien perdu de leur éclat soixante ans plus tard, à l’heure où ce roman est enfin traduit en français.
Emmanuel (Em) Joyce, soixante et un ans, est un dramaturge à succès qui multiplie les liaisons avec les jeunes actrices. Sa femme Lilian le sait, mais elle lutte tant bien que mal pour s’en accommoder, prise au piège d’une santé fragile - elle n’est plus elle-même depuis la mort de leur petite Sarah, emportée par une méningite alors qu’elle n’avait que deux ans. Avec eux vit Jimmy Sullivan, à la fois secrétaire, intendant et confident. Ce trio qui voyage au gré des obligations professionnelles d’Em s’apprête à quitter Londres pour New York : Broadway va produire sa dernière pièce, pour laquelle ne manque qu’une comédienne à recruter. Alors que les candidates défilent sans convaincre, naît l’idée de confier le rôle à Alberta, la jeune secrétaire qu’Em a engagée peu avant leur départ. À dix-neuf ans, Alberta n’est qu’une jeune ingénue tout juste débarquée du Dorset, mais son honnêteté, sa bonté, sa clairvoyance vont bousculer les trois autres dans leurs mesquineries et autres petitesses.
Dans la douleur
Alors que tous mettent le cap sur la Grèce pour une pause qui permettra à Alberta d’apprendre le métier d’actrice, la jeune femme qui n’est que sincérité, intentions pures et dignité va déstabiliser Em, Lilian et Jimmy, amenés qu’ils seront malgré eux à affronter leurs errements (Em succombera-t-il au charme de celle qui pourrait être sa fille ?). Au final, chacun y gagnera, même si c’est dans la douleur. De Londres à Hydra, le changement ne pouvait être plus radical. Sans doute la chaleur écrasante, la lumière aveuglante et la vie simple des autochtones devaient-elles permettre le surgissement d’une autre vision des choses et de la vie.
Profonde transformation
La plume alerte et classieuse d’Elizabeth Jane Howard nous plonge dans une atmosphère digne de James Ivory. Tout y est nuance, tout palpite au rythme des élans de l’âme, tout surgit avec subtilité. "C’est ça le problème avec moi : je n’ai presque plus de sentiments authentiques, rien que d’affreux substituts - des constructions intellectuelles et des effondrements physiques." La finesse psychologique des mouvements de ce quatuor donne à ces pages une densité rare. Ne vous fiez pas au titre français (Une saison à Hydra) qui a l’accent d’un roman de plage. L’original, The Sea Change, est plus significatif quant aux enjeux soulevés : empruntée à La Tempête de Shakespeare, cette expression signifie une profonde transformation. "N’y avait-il pas un moyen pour que la poursuite d’un seul but couvre toutes les quêtes ? Un moyen d’être moins soumis au hasard et aux obligations aléatoires ?" Telle est la mer, qui demande attention, adaptation, engagement, le moindre écart pouvant mener à la catastrophe. Oui la mer change, parfois en un instant. Il faut dès lors réagir, sous peine de périr. C’est avec le personnage inoubliable d’Alberta, éblouissant de justesse dans son innocente perfection, qu’Elizabeth Jane Howard interroge avec finesse trois destinées en leur proposant un nouveau départ.
Elizabeth Jane Howard | Une saison à Hydra | roman | traduit de l’anglais par Cécile Arnaud | Quai Voltaire |440 pp., env. 24 €
EXTRAIT
"N'y avait-il pas un moyen pour que la poursuite d'un seul but couvre toutes les quêtes ? Un moyen d'être moins soumis au hasard et aux obligations aléatoires ? Voilà ce dont il avait besoin: "et tu ne le trouveras pas en réfléchissant", se dit-il sévèrement. Nos pensées ne valaient pas mieux que nous, et pis, elles n'étaient pas différentes."