Karine Tuil et la zone grise du consentement
Pour son onzième roman, "Les choses humaines", Karine Tuil s’est inspirée de l’affaire dite "de Stanford". Celle qui vit un étudiant de l’université américaine accusé et condamné, en 2016, pour viol d’une jeune fille.
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Publié le 19-09-2019 à 15h57 - Mis à jour le 19-09-2019 à 15h58
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La zone grise du consentement. C’est à cette délicate et ombrageuse notion que le nouveau roman de Karine Tuil, Les choses humaines, s’intéresse. Mais pas seulement. Durant les 150 premières pages, l’autrice portraiture chacun des protagonistes - côté pile et côté face. On n’entre pas directement dans le vif du sujet. Il y a Jean Farel, 70 ans, journaliste politique, vedette de la télévision française qui, au final, n’est pas si caricatural que ça - il évoque indubitablement l’une ou l’autre star du petit écran qui sévissait il n’y a pas si longtemps. De celle qui n’arrive pas à décrocher et qui, "à chaque élection, déploie toute son énergie pour plaire au gouvernement en place". Est ensuite esquissé le portrait de sa femme Claire, "pour qui la déflagration extrême, la combustion définitive, c’était le sexe, rien d’autre". Surgit dans la foulée Adam Witzman, celui pour qui Claire quitte Jean. Puis c’est au tour d’Alexandre, le fils que Jean et Claire ont eu ensemble, brillant polytechnicien, accepté à la prestigieuse université de Stanford. "Soixante mille euros annuels de frais de scolarité, mais pour recevoir l’un des meilleurs enseignements du monde."
Pour son onzième roman, Karine Tuil s’est inspirée de l’affaire dite "de Stanford". Celle qui vit un étudiant de l’université américaine accusé et condamné, en 2016, pour viol d’une jeune fille. La transposition que l’auteure française opère du fait divers est celle qui voit Alexandre emmener Mila, la fille du nouveau compagnon de sa mère, dans une soirée pour, lors du retour, "l’agresser sexuellement dans un local à poubelles du côté du métro Anvers".
Procès
Dans un ébouriffant désordre, Karine Tuil, dont Les choses humaines figure dans la première sélection du Goncourt et du Femina, brosse des portraits bien sentis d’un certain milieu parisien. Quand Alexandre, "introverti, mâle dominant, doutant d’avoir violé", est accusé, tout l’entourage vacille. Et l’auteure n’hésite pas à brasser large. Trop sans doute. D’autres sujets délicats, ayant d’une façon ou d’une autre à voir avec la thématique - comme Monica Lewinsky ou les agressions sexuelles du nouvel an 2016 en Allemagne - font irruption au fil des pages.
À la moitié du livre commence le procès, relaté de façon très précise - détaillant les faits et gestes des deux protagonistes. Et, aussi, la parole donnée à l’entourage comme témoins. Une œuvre particulièrement bien documentée où l’on a l’impression d’assister au procès comme membre du jury d’assises - ce à quoi l’auteure s’est réellement attelée.
Un roman inscrit dans l’air du temps, celui de #MeToo, qui aborde aussi les soi-disant errements du féminisme. Errements, vraiment ?
--> ★ ★ Les choses humaines | Karine Tuil | Gallimard | 352 pp., 21 €
EXTRAIT
"Le soir où Alexandre est sorti avec Mila Witzman, il avait bu, fumé, pris de la drogue, il n'était pas dans son état normal et puis, pour lui, avec l'éducation qu'il avait reçue, le sexe était sans doute quelque chose de léger, sans conséquence, qui n'engageait à rien. Je ne vois pas d'autre explication. Mon fils - que je connais mieux que quiconque ici - n'est pas le violeur pervers que certains veulent décrire. Il faut quand même le dire, il est jugé dans un moment de grande tension : depuis quelque temps, les femmes s'expriment librement et racontent les agressions dont elles ont été victimes, et c'est une bonne chose mais reconnaissons qu'on est en pleine hystérie collective. On assiste à une véritable chasse à l'homme ; sur les réseaux sociaux, notamment, c'est un lynchage, il n'y a pas d'autre mot, c'est la meute qu'on libère."