Sylvain Tesson, la surprise du chef au prix Renaudot: chantre de la nature et de la patience
Le prix Renaudot est revenu à Sylvain Tesson et "La Panthère des neiges".
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- Publié le 04-11-2019 à 22h37
- Mis à jour le 28-02-2020 à 17h26
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Le prix Renaudot est revenu à Sylvain Tesson et "La Panthère des neiges".
C’est la surprise du chef : depuis la première sélection, le 4 septembre, jusqu’à la troisième, le 29 octobre, Sylvain Tesson, avec La Panthère des neiges (Gallimard), n’était pas repris dans la liste des finalistes du prix Renaudot. En le couronnant (au second tour par six voix contre deux), le jury, présidé par Patrick Besson, a réitéré son coup de 2018. Cette année-là, les jurés (Frédéric Beigbeder, Dominique Bona, Georges-Olivier Châteaureynaud, Jérôme Garcin, Louis Gardel, Franz-Olivier Giesbert, Christian Giudicelli, J.M.G. Le Clézio et Jean-Noël Pancrazi) avaient récompensé Le Sillon de Valérie Manteau.
Sylvain Tesson, 47 ans, est un habitué des prix littéraires. En 2009, déjà, il recevait le prix Goncourt de la nouvelle, pour Une vie à coucher dehors, et, deux ans plus tard, le prix Médicis essai pour Dans les forêts de Sibérie.
Contre l’épilepsie moderne
On peut lire La Panthère des neiges comme une œuvre dans l’air du temps, enfin celui des personnes qui se rebellent contre la frénésie du siècle 21 - comme le nomme Tesson. On se plonge dans cette histoire pour n’en plus ressortir - même si ce n’est pas un page turner. N’est-il pas paradoxal d’avaler d’une traite les 167 pages d’un roman qui pose comme vertu principale la patience ? Certes, mais rien n’empêche de prendre son temps, de goûter à la belle langue de Tesson, à son humour, à ses descriptions d’une région encore fort préservée… On part donc au Tibet à l’affût de la panthère des neiges. "Au ‘tout, tout de suite’ de l’épilepsie moderne, s’opposait le ‘sans doute rien, jamais’ de l’affût."
Tout commence en bord de Moselle, quand Sylvain Tesson découvre les joies de "la position du guetteur couché". Il est, aux côtés de Vincent Munier, un des meilleurs photographes animaliers français. À croire que l’écrivain, baroudeur depuis 1991, a réussi l’examen de passage consistant à attendre, immobile et silencieux, lui qui dégoise à tout propos, puisque Munier va l’inviter à l’accompagner au Tibet. Aux côtés de Marie, la fiancée de ce dernier, cinéaste animalière, ainsi que de Léo, aide de camp.
L’équipée se retrouve dans le sud des Kunlun, en bordure du plateau de Chang Tang. Les conditions sont particulièrement inhospitalières : il fait deux-trois dizaines de degrés en dessous de zéro ; "sous la toile, à cette température, les rêves gèlent !" peut-on lire dans La Panthère des neiges, magnifique éloge à la nature - et à ses habitants, les bêtes. Dans laquelle, selon Tesson, il existe encore des "zones d’ombre" comme il les appelle, c’est-à-dire des régions préservées. Le contraste de certaines plaines immaculées avec la pollution d’autres donne à comparer et à s’alarmer.
Les animaux incarnent la volupté, la liberté, l’autonomie : ce à quoi nous avons renoncé, commente Sylvain Tesson. Membre de "la bande des quatre", il prend des notes, mais il a promis de ne pas donner l’appellation exacte des lieux - histoire de ne pas appâter les chasseurs.
Aventurier
Tesson aime dégainer. Parfois, il tire un peu trop sur tout ce qui lui déplaît. Quand c’est à bon escient, il y a de quoi rager. "La région a été vidée, dit Munier, comme chez moi dans les Vosges. Très jeune, dans les années 60, mon père a alerté ses concitoyens. Il pressentait les désastres. Rachel Carson avait écrit Printemps silencieux , pour dénoncer les pesticides." C’était il y a cinquante ans. Oui, cinquante ans ! Ailleurs, il moque le Président américain : "En quoi le vol des cygnes serait-il moins intéressant que les tweets de Trump ?" De fait ! Sinon, ses piques frôlent la posture - ses interventions médiatiques en sont la preuve.
L’aventure, Sylvain Tesson commence à y goûter en 1991, lorsqu’il effectue une traversée à vélo du désert central d’Islande, puis lors d’une expédition spéléologique à Bornéo. Depuis, il a fait le tour du monde à vélo, traversé l’Himalaya à pied, parcouru les steppes d’Asie centrale… Il était aussi "toiturophile". Jusqu’en 2014, où il chute de près de 10 mètres en escaladant la façade d’une maison à Chamonix. Victime d’un sévère traumatisme crânien et de multiples fractures, il en réchappera. Pour le plus grand bonheur de ses lecteurs… et aussi manifestement des membres du jury du prix Renaudot.