Le latin pour sauver le français de l’utilitaire
Nicola Gardini, un professeur d’Oxford, démontre que le latin n’a cessé d’irriguer notre langue, et invite à lire Ovide
- Publié le 27-11-2019 à 19h22
- Mis à jour le 27-11-2019 à 19h29
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Nicola Gardini, un professeur d’Oxford, démontre que le latin n’a cessé d’irriguer notre langue, et invite à lire Ovide
Né en 1965, professeur de littérature comparée à l’université d’Oxord, Nicola Gardini avait souligné dans Vive le latin (De Fallois, 2018) combien le latin est indispensable si nous ne voulons pas être submergés par la langue utilitaire de la communication ou celle, appauvrie, des blogs et des textos.
Il nous démontre, cette fois, que notre vocabulaire provient pour l’essentiel du trésor de mots constitué, il y a plus de deux mille ans, par les Romains, transmis, enrichi, modifié au fil des siècles pour se retrouver dans les langues romanes actuelles. Il explique : "L’actualité n’est pas tout le présent ; et le présent commence bien avant notre époque et notre naissance".
Nicola Gardi nous en donne une fascinante démonstration à travers dix mots, tel le mot "Ars" qui donne "Arte" en italien et en espagnol, "Art" dans d’autres langues. Il n’avait, au départ, rien d’artistique : le pilote qui sait conduire un bateau à bon port possède l’"ars".
L’étonnante vie des mots
Les dix mots latins retenus, que je n’ai sans doute pas besoin de traduire, sont : Ars, Signum, Modus, Stilus, Volvo, Memoria, Virtus, Claritas, Spiritus, Rete. Ce dernier mot, qui signifie filet, a donné, en italien, Retina, petit filet, et en français rétine, la tunique intérieure de l’œil.
Voici deux autres exemples de la vie d’un mot latin à travers les siècles. Prenons d’abord "volvere", faire rouler, qui donne aussi bien "volume" (le rouleau de papyrus qu’on déroule) que "voluta" (volute, ce qui est en forme d’hélice, de spirale). En castillan, "volvere" signifie "retourner", "revenir" (d’où le titre du film "Volver" d’Almodovar). En anglais, on trouve "involve" (impliquer), en italien "involuto" (tortueux, confus), en français "évolution" et "révolution". En Suède, un industriel automobile a voulu s’appeler Volvo parce que son moteur utilise des sphères qui tournent et qui réduisent la friction entre les parties mobiles…
Second exemple : le mot "stilus". En latin ancien, il désigne un pieu, un objet pointu qui laisse une trace, qui défigure. On retrouve cette signification dans l’italien "stilo" (poignard à lame très fine) et dans l’anglais "stiletto heels" (talons aiguilles). Par la suite, "stilus" s’affirma dans la latinité post- cicéronienne au sens de "style" : Sénèque exhorte à écrire dans "un style simple" (simplice stilo).
Bref, un ouvrage dont l’ample moisson réserve de passionnantes surprises.
Parallèlement à cette étude philologique, parait l’érudite étude que Nicola Gardini a consacrée à Ovide. Né dans les Abbruzes en 43 avant notre ère, il est l’auteur de poèmes érotiques et libertins, de lettres fictives prêtées à des héroïnes légendaires, telles Phèdre et Didon, et de récits de "métamorphoses" de dieux et d’humains dans la mythologie grecque. Exilé par l’empereur Auguste à Constanta sur la mer Noire, il y mourut en 17-18 après J.-C.
Ovide, un plaisir de lecture
Pourquoi Gardini lui voue-t-il un intérêt passionné depuis qu’il le découvrit à l’adolescence ? Parce que, plus encore que Virgile, il est l’une des sources les plus fécondes de l’art et de la littérature en Occident, particulièrement à l’époque baroque. Son étude des thèmes de sa poésie, des causes (inconnues) de son exil, de la mutation constante des formes, des êtres et des sentiments qu’il relevée dans ses Métamorphoses, sont d’une prodigieuse subtilité.
Les 10 mots latins qui racontent notre monde Essai De Nicola Gardini, trad. de l’italien par François Livi, Éd. de Fallois, 248 pp. Prix env. 18 €

Avec Ovide. Le plaisir de lire un classique Essai De Nicola Gardini, traduit de l’italien par Dominique Goust, en coll. avec Ilaria Gabbani, Éd. de Fallois, 240 pp. Prix env. 18 €
