Imaginer Flaubert nageant…
"Un automne de Flaubert", un bijou d’écriture qui raconte la dépression du grand écrivain.
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- Publié le 11-02-2020 à 16h01
- Mis à jour le 20-11-2020 à 17h21
"Un automne de Flaubert", un bijou d’écriture qui raconte la dépression du grand écrivain. Il ne faut pas être un spécialiste de Flaubert par savourer la lecture délicieuse du roman d’Alexandre Postel. Il s’est emparé d’un événement réel de la vie de Flaubert pour le raconter dans une langue merveilleuse tout en évoquant la mélancolie de la vie et le mystère de la création artistique.
En 1875, Gustave Flaubert a 53 ans. L’écrivain magnifique de Madame Bovary, Salammbô et L’Education sentimentale, se sent vieux et déprimé. Il ne parvient pas à terminer Bouvard et Pécuchet, il est angoissé par la ruine financière qui menace sa nièce chérie, Caroline, à cause de la faillite de son mari. Or c’est elle qui pourvoit à ses besoins. On parle même de devoir vendre la propriété de Croisset qui lui est si importante.
Alexandre Postel le décrit bien diminué : "Autour de lui, tout meurt. Il se sent seul. […] Il n’est plus maître de ses émotions, signe certain de décrépitude. […] Il a perdu toute estime de lui-même. Il prend la mesure de son néant."
Abattu, son amie George Sand lui conseille de voir Victor Hugo, le géant, mais rien n’y fait. Alexandre Postel fait un portrait saisissant de l’ogre des lettres recevant Flaubert en croquant des pattes de homard sans même les décortiquer.
La mue des homards
Il cherche l’apaisement par un séjour à Concarneau, en Bretagne. Baudelaire l’avait dit : "Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie."
Le roman raconte alors cette villégiature faite de petits riens où Flaubert observe, rêve, médite, mange, prend des bains de mer chaque jour (jamais plus de 15 minutes, lui dit-on). "Il éprouve le besoin de respirer, de s’accorder au rythme de la mer et du vent, de rompre les digues du chagrin."
Il y fréquente Pouchet, un médecin chercheur à l’Aquarium de Concarneau qui observe la mue des homards et étudie le système nerveux des raies. Les deux amis dissertent sur la possible génération spontanée en biologie ou en littérature. Et ils mangent des fruits de mer.
Quand Flaubert, se promenant silencieux avec deux amis, s’apprête enfin à parler, chacun s’attend à des réflexions admirables mais celui-ci se contente de dire : "Dites mes bichons, vous ne sentez pas venir la faim ?"
On dit qu’à un ami parisien à qui il avait promis d’envoyer une lettre et qui l’attendit avec impatience pendant une semaine, avide d’y découvrir des phrases magnifiques, Flaubert avait fini par écrire les seuls mots "Souvenirs de Concarneau".
Leçon d’écriture
Mais peu à peu, Flaubert sort de sa dépression, retrouve des contacts plus apaisés y compris avec sa chambrière. Et il se remet à écrire. Il s’intéresse à la légende de saint Julien l’Hospitalier (qui deviendra un des Trois contes) et le roman montre, à partir de l’exemple d’une seule page du livre, comment Flaubert reprenait inlassablement ses phrases, les triturait, élaguait, jusqu’à trouver ce qui sera le plus juste.
Flaubert observe le travail ardu des sardinières sur le port, découpant les poissons pour les enfermer dans des boîtes. Et il compare cette tâche à la sienne : "De même que la sardinière ressuscite les poissons morts dans la vie éternelle de la conserverie, le travail de la phrase ne consiste-t-il pas à figer les idées dans l’éternité du style ?"
Revigoré par ses vacances à la mer, Flaubert se rassure en se disant que "seule compte l’œuvre accomplie, le reste appartient aux ténèbres" et il éteint la veilleuse dans sa petite chambre donnant sur le port.
Alexandre Postel achève ainsi ce récit de gourmet de la langue, qu’on déguste avec gourmandise.
Cinq ans après son séjour à Concarneau, Flaubert mourait inopinément.
Un automne de Flaubert Roman De Alexandre Postel, Gallimard, 133 pp. Prix env. 15 €