Dans les vents contraires de la vie
Après le beau parcours des Pêcheurs, finaliste du Booker Prize et paru en français en 2016, Chigozie Obioma a de nouveau été finaliste du Booker Prize en 2019 avec La prière des oiseaux ( An Orchestra of Minorities). Né au Nigeria mais vivant désormais aux États-Unis, l’auteur puise dans la tradition et la cosmologie Igbo pour nourrir son deuxième roman, le narrateur étant le chi (soit l’esprit protecteur) du personnage principal. Désormais orphelin et débordé par la tristesse, Chinonso sait qu’il doit suivre le conseil de son oncle : trouver une compagne de vie. Par contre, il ignore que c’est précisément la jeune femme qu’il a détournée d’une tentative de suicide qui va bouleverser son existence. Entre Ndali et son sauveur, qui vont se revoir un peu par hasard, quelque chose de fort et de précieux va naître. Ce qui ne plaît pas aux parents fortunés de Ndali, qui veulent pour elle un mari à la hauteur de leurs ambitions.
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Publié le 18-02-2020 à 17h13 - Mis à jour le 06-03-2020 à 15h46
Après le beau parcours des Pêcheurs, finaliste du Booker Prize et paru en français en 2016, Chigozie Obioma a de nouveau été finaliste du Booker Prize en 2019 avec La prière des oiseaux (An Orchestra of Minorities). Né au Nigeria mais vivant désormais aux États-Unis, l’auteur puise dans la tradition et la cosmologie Igbo pour nourrir son deuxième roman, le narrateur étant le chi (soit l’esprit protecteur) du personnage principal. Désormais orphelin et débordé par la tristesse, Chinonso sait qu’il doit suivre le conseil de son oncle : trouver une compagne de vie. Par contre, il ignore que c’est précisément la jeune femme qu’il a détournée d’une tentative de suicide qui va bouleverser son existence. Entre Ndali et son sauveur, qui vont se revoir un peu par hasard, quelque chose de fort et de précieux va naître. Ce qui ne plaît pas aux parents fortunés de Ndali, qui veulent pour elle un mari à la hauteur de leurs ambitions.
Tout pour celle qu’il aime
Modeste fermier, éleveur des poulets, Chinonso ne voit qu’une solution pour être digne d’être accepté : reprendre des études. Un ami lui glisse l’idée d’effectuer son cursus à Chypre, endroit présenté comme idyllique où tout semble plus facile, où tout… fonctionne. Déterminé à faire tout ce qu’il peut pour celle qu’il aime, il veut sa maison, la terre héritée de ses parents, abandonne les souvenirs qui y étaient liés, bref tout ce qui constituait une part de lui-même et s’envole pour Chypre. Mais l’ami d’hier est devenu un escroc. Rien ne se passe comme prévu, et Chinonso plonge comme tant d’autres, piégé par le mirage occidental. Et ce n’est qu’un début : un autre enfer l’attend, que jamais il n’aurait pu imaginer. Le voilà frère malgré lui de "tous ceux qu’on a enchaînés et battus, au territoire pillé, à la culture éradiquée, tous ceux qu’on a réduits au silence, violés, déshonorés, assassinés. […] Ils étaient les minorités du monde, avec pour seul recours l’orchestre universel qui n’avait plus qu’à pleurer et gémir".
De Shakespeare à Homère
Si tout commence par une histoire que l’on peut rapprocher de celle de Roméo et Juliette telle qu’imaginée par Shakespeare, l’on se déplace peu à peu vers une autre référence : L’Odyssée, soit l’errance et le retour d’Ulysse. Enfant, Chinonso a aimé cette histoire, comme elle a nourri Chigozie Obioma lui-même. Cette trajectoire mythique forge dès lors en lui l’espoir de retrouver Ndali.
Humiliation, regrets, désir de vengeance, spoliation, trahison : tous les travers d’une vie humaine sont ici explorés, et à travers eux c’est le poids du destin que Chigozie Obioma interroge. Ce, avec un point de vue riche en enseignements : celui du chi, qui rythme le cours du récit par ses interventions et ses incantations. De sa position à la fois privilégiée et inopérante (il ne peut conseiller directement son hôte), ce dernier tisse une toile révélatrice. Où sont mises en lumière l’incapacité de l’homme à prévenir l’avenir, sa propension à demeurer enchaîné au passé, sa position de démuni ("nu il est né, nu il repartira").
Laisser l’homme être un homme
Au-delà, c’est la formidable et redoutable sagesse du chi qui s’exprime, à travers son regard si pertinent sur la destinée humaine et la marche du monde. Lui qui aime convoquer les grands anciens, lui qui est "une fontaine de souvenirs, une accumulation de tous les cycles d’existence" doit pourtant se résoudre à ne pas comprendre pleinement le cœur humain. Conscient de ses limites, il sait qu’il doit laisser l’homme être un homme.
Foisonnant, débordant de récits et résolument africain dans sa narration, La prière des oiseaux dresse aussi un sombre portrait du Nigeria, pays miné par la corruption, les dysfonctionnements, les pénuries, l’incurie des autorités. C’est pourtant l’attachement à la terre et à sa famille qui montrera le chemin à Chinonso, lui qui a tant sacrifié pour se réinventer. "Quelqu’un lui avait dit un jour que la pire chose qui puisse arriver sous les coups de l’adversité, c’est de devenir ce que l’on n’est pas. C’était là l’ultime défaite."
- Chigozie Obioma | La prière des oiseaux | traduit de l’anglais (Nigeria) par Serge Chauvin | Buchet-Chastel | 526 pp., env. 25 €
EXTRAIT
"Ne dis que ce que tu sais. Si les faits sont minces, n'essaie pas de les engraisser. Si les faits sont riches, ne les appauvris pas pour les minimiser. Si les faits sont brefs, ne les étire pas pour les allonger. La vérité résiste à la main qui la crée, et n'est pas tenue par cette main. Elle doit demeurer dans l'état d'origine de sa création."