La très riche littérature marocaine à l’honneur
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Publié le 02-03-2020 à 17h40 - Mis à jour le 05-03-2020 à 12h03
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Leïla Slimani, Rachid Benzine, Tahar Ben Jelloun, Mohammed Berrada, illustrent cette richesse.
Ils sont 650 000 Belgo-Marocains à avoir élu un jour domicile en Belgique. Un apport considérable à l’âme d’une Belgique multiculturelle", explique l’équipe de la Foire du livre de Bruxelles, qui leur rend hommage en ayant choisi cette année le Maroc comme pays invité. La vitalité et la diversité littéraire des Marocains au Maroc comme dans la diaspora, sera donc présente à Bruxelles, du 5 au 8 mars. Elle est bien symbolisée par quatre invités importants et différents qu’on peut mettre en exergue.
Une icône
D’abord, l’une des invités d’honneur, Leïla Slimani, devenue en quelques années à peine, en deux romans et des combats, une vraie icône. Macron lui avait même proposé de devenir ministre de la Culture, ce qu’elle refusa.
Prix Goncourt 2016 avec Chanson douce (transposé depuis à la scène et à l’écran), auteure d’un premier roman Dans le jardin de l’ogre, elle a dénoncé l’hypocrisie et le machisme au Maroc dans un essai, Sexe et mensonges : La vie sexuelle au Maroc.
Gallimard publie ce 5 mars le premier volet de sa trilogie familiale très attendue qui se déroule au Maroc, Le pays des autres, annoncé comme "un roman des origines, ample, ambitieux et personnel".
Même devenue star, Leïla Slimani n’oublie pas ses combats pour la francophonie et les femmes. Dans sa trilogie, c’est d’ailleurs une femme, sa grand-mère, qu’elle met en valeur pour revisiter l’histoire de sa terre natale. Elle porte depuis toujours ce combat en faveur des Marocaines. Adolescente déjà, comme elle l’a raconté au Monde, elle a été choquée de voir la manière dont les femmes sont traitées dans son pays. Une colère qui n’a cessé de croître contre "l’hypocrisie de la société marocaine, le double jeu de certains", ces 600 avortements clandestins par jour, ces femmes "qui ne possèdent pas leur propre corps", l’inégalité générée par ce système qui fait que "les riches peuvent avoir des relations sexuelles à l’abri de leurs grandes maisons et se faire avorter à Paris quand les pauvres sont pourchassés par les intégristes et le régime".
En mars 2018, elle a signé la pétition de cent intellectuels marocains appelant à mettre fin à la discrimination des femmes en matière d’héritage. Au Monde, elle disait : "Je m’en fous que vous ne m’aimiez pas, mais pensez-vous qu’il soit normal d’aller en prison parce qu’on fait l’amour ?"
Faire des livres sa vie
Le second invité marquant est Rachid Benzine, islamologue de formation, libéral, franco-marocain. Il a enseigné à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, comme à l’UCL et à la faculté de théologie protestante de Paris. Ses Lettres à Nour ont été lues d’Avignon à Liège et Bruxelles, regard bouleversant sur l’islamisme radical. Il a dialogué avec la passionnante femme rabbin française Delphine Horvilleur. Son très beau premier roman, Ainsi parlait ma mère, a paru au Seuil en janvier qui évoque une mère immigrée marocaine comme si c’était la sienne. Sa mère (dans le roman) avait quitté Zagora, au Maroc, dans les années 50 pour s’installer à Bruxelles. Jamais, elle n’apprit à lire, gardant toute sa vie un accent dont le fils avait honte. Plus que d’avouer sa pauvreté, elle redoutait d’apparaître faible.
Le fils fit des livres sa vie, y trouvant une voie pour fuir une condition d’immigré pauvre qu’il refusait. On la retrouve à 93 ans, très vieille, lavée chaque jour par son fils devenu prof à Louvain. Son ultime plaisir est qu’on lui relise sans cesse La Peau de chagrin de Balzac dont elle connaît les moindres détails, une histoire de choix entre désir et longévité. Benzine en fait un hommage à la force de la littérature. "La littérature comme lieu pour se rencontrer, eux qui n’ont plus rien en commun, elle la pauvre immigrée et lui le prof."
Loin des clichés
Troisième invité marquant : Mohamed Berrada, né à Rabat en 1938. Romancier, nouvelliste, critique littéraire, traducteur, il a été, de 1976 à 1983, président de l’Union des écrivains marocains, puis a enseigné la littérature arabe à l’université Mohammed-V à Rabat. Traducteur de Barthes et Le Clézio en arabe, cinq de ses romans sont traduits chez Actes Sud dont le dernier, Loin du vacarme.
Il est bien connu en Belgique où il fut le moteur du volet littéraire du festival Daba Maroc en 2012. Il est marié à Leila Chahid, longtemps ambassadrice de Palestine à Bruxelles. Mais il est d’abord un des écrivains actuels les plus admirés au Maroc même. Son livre Vies voisines donnait ainsi une vision de ce pays bien éloignée des clichés. Certes, les histoires croisées qu’il y raconte remontent aux années de plomb, celles d’Hassan II, mais rien ne dit que ces temps aient vraiment disparu. En particulier, l’hypocrisie de certaines élites et le poids de l’entourage royal, le puissant Makhzen.
Pour Berrada, "ce qui est tragique, ce n’est pas l’absence de création, mais l’absence totale de marché culturel commun dans le monde arabe et de politique ambitieuse de traduction et de diffusion des œuvres".
C’est vrai qu’au-delà du problème réel des lignes rouges qui demeurent au Maroc pour les écrivains (ne pas critiquer le roi et son entourage, éviter les sujets sexuels et les critiques de la religion), le problème est d’abord prosaïque : un livre qui s’est très bien vendu au Maroc, c’est 2 000 à 3 000 exemplaires. Si les Marocains ne lisent pas, c’est parce qu’il n’y a pas suffisamment de librairies dans le pays ou de bibliothèques dans les écoles.
On ne présente évidemment plus le quatrième invité vedette, Tahar Ben Jelloun, né à Fès en 1944, ayant grandi à Tanger avant d’émigrer en France en 1971. Lui aussi fut lauréat du Prix Goncourt, en 1985 pour La nuit sacrée.
Contestataires
Le Maroc a une longue tradition d’écrivains contestataires. Comme Driss Chraïbi mort en 2007, dont le livre Le Passé simple, paru en 1954, dénonçait en pleine lutte de son pays pour l’indépendance, les scléroses de la société marocaine et les absurdités de la colonisation. Son héros, le jeune Driss, est tiraillé entre les deux sociétés, française et marocaine. Il se révolte contre son père qui mène d’une main de fer sa famille avec, pour toile de fond, la corruption et la pauvreté. Le livre fit scandale au Maroc où l’on reprocha à l’auteur de trahir son pays.
Le merveilleux poète Abdellatif Laâbi, prix Goncourt de poésie et Grand Prix de la francophonie, a toujours bataillé contre le "règne de barbarie" depuis son premier livre, écrit au milieu des années soixante. Il le fait avec le cri qu’il dit être inscrit dans ses gènes, la célébration inconditionnelle de la vie et, plus toniques encore, l’ironie et l’autodérision. Né en 1942 à Fès, il fondait en 1966 la revue Souffles qui a subverti le champ littéraire et culturel au Maghreb. Son combat pour la liberté lui a valu d’être longtemps emprisonné au Maroc. Depuis 1985, il vit principalement en France. Lors de l’envol des révolutions du printemps arabe, il est souvent revenu au Maroc "heureux que la parole se libère", espérait-il alors avant de déchanter quelque peu.
Abdellah Taïa est le chef de file d’une jeune génération d’écrivains marocains exilés en France. En 2010, son roman Le Jour du Roi lui valut le prix de Flore. Il fut le premier écrivain marocain à révéler publiquement, dans ses livres comme dans les médias, son homosexualité et, plus largement, sa liberté de pensée sur tous les points.
Dans Infidèles, par exemple, on retrouve des thèmes chers à Abdellah Taïa : la critique vive du Maroc des années 80, l’évocation de l’homosexualité, la question de l’islam. Si on l’interroge sur son maître en littérature, il ne cite pas un écrivain français ou marocain, mais bien sa mère, pourtant analphabète et morte en 2010.
Rendez-vous
Le printemps des poètes. Avec des poètes marocains invités pour des lectures de poésie multilingues. Jeudi 5 mars à 21h, à Darna (rue des Pierres 25/27 à 1000 Bruxelles).
Le Maroc rencontre son africanité. Avec Mohammed Noureddine Affaya et Jean Bofane. Vendredi 6 mars, 15h, Pavillon marocain.
Histoires de famille. Avec Rachid Benzine et Patrick Roegiers. Samedi 7 mars, 17h, Grand-Place du Livre.
Quand la fiction raconte le Maroc. Avec Mohamed Berrada, Youssef Fadel et Yassin Adnan. Samedi 7 mars, 11h, Pavillon marocain.
Rencontre avec Tahar Ben Jelloun. Samedi 7 mars, 14h, Pavillon marocain.
Marrakech noir. Avec Fouad Laroui et Taha Adnan. Vendredi 6 mars, 20h, Pavillon marocain.
La guerre au féminin. Avec Leïla Slimani et Samar Yazbek. Samedi 7 mars, 16h, Théâtre des Mots.
La femme comme personnage de la littérature romanesque contemporaine. Avec Mahi Binebine, Samira El Ayachi et Souad Jamaï. Dimanche 8 mars, 18h, Pavillon marocain.