Le dernier soldat de l’Empereur
L’autobiographie d’Hiro Onoda, officier japonais qui "résista" dans la jungle jusqu’en 1974.
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Publié le 02-03-2020 à 17h21 - Mis à jour le 03-03-2020 à 17h18
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L’autobiographie d’Hiro Onoda, officier japonais qui "résista" dans la jungle jusqu’en 1974.
Le 9 mars 1974, vers 14 heures, Hiro Onoda sortait de la jungle de l’île philippine de Lubang. Ce lieutenant de l’armée impériale du Japon avait rendez-vous avec le major Taniguchi, son officier traitant. Vingt-neuf ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il fut techniquement parlant le dernier Japonais à rendre les armes (1). Deux semaines plus tôt, survivant en mode guérilla, il croyait encore que la guerre du Pacifique se poursuivait et que les policiers philippins le traquaient pour le compte des Américains.
Onoda était un des cent vingt-sept "soldats perdus" nippons, retrouvés sur diverses îles du Pacifique de 1945 à 1974. Décédé en 2014, à l’âge de 91 ans, il reste un des plus célèbres. Dans les faits il ne s’est pas rendu : son ancien supérieur (qui, entre-temps, était devenu libraire) a dû lui signifier son ordre de fin de "mission". A ce titre, il fut un héros ambigu, perçu comme un symbole de résilience, lorsqu’il revint dans un Japon reconstruit, au faîte de sa puissance économique.
Il a conté sa singulière "résistance" dans ce livre, traduit pour la première fois en français. Avec peu de recul critique, le soldat jusqu’au-boutiste fait le récit de sa survie - d’abord avec trois autres compagnons d’infortunes. L’un désertera, les deux autres mourront lors de fusillades avec les forces de l’ordre. Onoda a tué lui-même une trentaine de Philippins durant sa guérilla.
Une exception
L’acharnement d’Onoda fut le fruit d’une exception dans l’armée impériale nippone : coulé dans le moule de la propagande, convaincu de la supériorité morale de son pays, Onoda fit partie d’une unité d’élite formée au renseignement et à la guérilla.
Dans les derniers mois de la guerre, les hommes de celles-ci ont été envoyés dans divers avant-postes de l’empire japonais, qui s’étiole sous la pression militaire des Alliés.
Ils avaient mission de poursuivre à tout prix le combat, en attendant une hypothétique contre-offensive japonaise. Nommé lieutenant, Hiro Onoda a même reçu un ordre à l’opposé du code moral en vigueur dans l’armée japonaise : il ne devait en aucun cas se suicider. Le respect de cet ordre, allié à sa discipline et à sa foi inébranlable dans la victoire finale, explique son acharnement pendant trois décennies.
Réalité alternative
En nos temps de fake news, son récit éclaire la psychologie d’un esprit formaté par la propagande et la contre-propagande.
Durant ses vingt-neuf ans de maquis, Onoda a écouté la radio, mis la main sur des journaux ou trouvé des tracts imprimés à son intention. Il a appris que des bombes atomiques furent lâchées sur le Japon, qu’il y avait une guerre au Vietnam ou que des jeux olympiques se sont tenus à Tokyo.
Mais il est resté persuadé que le Japon n’avait pas capitulé, voyant dans ces informations de la propagande américaine ou des messages codés de l’état-major japonais. L’officier perdu vivait dans une "réalité alternative". Le système qui l’a engendrée fut si performant qu’il ne l’a jamais remis en question.
Non repenti
C’est la limite de cette publication. Le récit est passionnant, car sidérant. Mais publierait-on les Mémoires d’un officier SS qui aurait tenu le maquis sans mise en perspective ou critique historique ? La vie d’Onoda après son retour révèle son obstination idéologique : déçu par les changements survenus au Japon du miracle économique, il a rejoint son frère au Brésil. Revenu dans l’archipel en 1984, Onoda a adhéré au mouvement révisionniste Nippon Kaigi, qui milite pour la restauration de l’Empire et du militarisme, et appris à des lycéens ses techniques de survie et son code moral.
Idéologiquement parlant, le dernier soldat de l’Empereur ne s’est jamais repenti. L’omission de cette information empêche ce récit "incroyable" d’offrir une leçon d’Histoire édifiante : celle de l’aveuglement nationaliste et militariste, fruit de l’endoctrinement. Affirmer, comme le fait un peu légèrement le traducteur en préface, que "nous sommes tous des Hiro Onoda", c’est oublier les victimes de celui-ci, à l’heure où ce poison se distille à nouveau, notamment au Japon.
1. Teruo Nakamura, un soldat originaire de Taïwan, enrôlé dans l’armée impériale, fut retrouvé neuf mois après Hiro Onoda.
Au nom du Japon Autobiographie De Hiro Onoda, traduit par Sébastien Raizer, La Manufacture de livres, 317 pp. Prix env. 20,90 €
