Anne Brouillard, entre chien et loup
Comment ne pas percevoir une ressemblance entre cette maison sous les arbres et la pluie, et celle de La Grande Forêt d’Anne Brouillard, merveilleuse autrice illustratrice jeunesse, qui, après avoir tant déménagé, a retrouvé l’antre de son enfance ?
Publié le 06-03-2020 à 16h38 - Mis à jour le 25-03-2020 à 15h52
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La grande autrice-illustratrice nous livre ses univers.
Comment ne pas percevoir une ressemblance entre cette maison sous les arbres et la pluie, et celle de La Grande Forêt d’Anne Brouillard, merveilleuse autrice illustratrice jeunesse, qui, après avoir tant déménagé, a retrouvé l’antre de son enfance ?
De son premier appartement de guingois, à la Bascule, à Uccle, elle n’a pas tardé à prendre le large pour un long et bruyant voyage en Chine. Elle aspira ensuite à plus de calme et mit le cap vers les Ardennes, dans un petit village, à Orchimont, dans la commune de Vresse-sur-Semois. Ses voisins ne comprenaient pas qu’elle soit payée pour dessiner, mais cela ne les a pas empêchés de faire le voyage vers Bruxelles lorsqu’une exposition lui fut consacrée, au Wolf, Maison de la Littérature jeunesse. Une exposition peu ordinaire, qui permettait au visiteur de voir défiler, dans de grandes boîtes posées au sol, mécanisme à l’appui, les paysages aperçus, devinés ou mémorisés à travers les fenêtres du train, le mode de transport privilégié d’Anne Brouillard au point d’en perdre parfois le sens de la réalité.
Du gâteau aux fruits rouges
Après les forêts ardennaises, elle partit en effet à l’autre bout de la Belgique pour vivre à Ostende des années lumineuses, dont elle garde un heureux souvenir. "Je trouvais le trajet de train très facile entre Bruxelles et Ostende, et chaque fois que je descendais sur le quai, je respirais cet air de la mer qui me plaisait. J’ai passé des heures à y travailler. Un jour, j’étais tellement concentrée que je croyais être dans mon atelier et lorsque le contrôleur arriva, je me suis demandée ce qu’il faisait chez moi" sourit-elle, couteau en main, avant de trancher le gâteau bio aux fruits rouges qu’elle a eu la gentillesse de préparer pour notre venue.
"J’ai fait un gâteau…". On croirait entendre Véronica lorsqu’elle accueille le chien Killiok dans La Grande Forêt (Pastel, 2016), ce premier et impressionnant tome du Pays des Chintiens où l’artiste semble habiter désormais. La ressemblance physique entre Véronica et Anne Brouillard est troublante. Les mêmes cheveux blonds et courts, la même délicatesse, la même manière d’être au monde, sans y être.
Notre hôte diminue la radio, qu’elle écoute en suédois. Elle ne parle pas couramment la langue de sa mère, mais la comprend : "Pour moi, c’est comme un massage du cœur" avant d’ajouter qu’elle apprend l’allemand. "Je viens de passer un mois de résidence à Berlin. C’était formidable !"
Dans son atelier, au rez-de-chaussée de la maison familiale d’Archennes, dans le Brabant wallon, sa table de travail regarde la fenêtre et les arbres enchevêtrés du jardin. On y décèle l’incontournable boîte de Caran d’Ache et les encriers qui ont, momentanément, remplacé la peinture à base d’œufs et de pigments que l’artiste fabriquait elle-même.
Le pays de son enfance
À sa droite, des originaux du troisième volet des aventures du Pays des Chintiens, pour un album plus court que les précédents, un intermède, centré sur le chien Killiok et Véronica, avant de reprendre un volume plus conséquent. Aux murs, au-dessus des originaux, des cartes - de la lune, marine et de Göteborg, qui lui sont chères. Et qui l’ont peut-être inspirée pour dessiner celles du Pays des Chintiens, le sien, en quelque sorte, imaginé durant son enfance. Elle ne sait pas encore combien de tomes elle écrira. "Ce pays me parle beaucoup. Je sens que je peux y mettre tout ce que j’aime, mes convictions, mes observations, mes interrogations. Je ne parviens pas à mesurer le temps que prennent les choses. Je rêve énormément, je suis très lente". Elle nous montre alors, en s’amusant, les boîtes de conserve, identiques à celles de son récit, qu’elle a confectionnées, la valise de Véronica avec la lampe de poche et la bonbonne de gaz pour camper dans la forêt. Des ustensiles qu’Anne Brouillard emmène en classe, lorsqu’elle rencontre des élèves ravis de retrouver les objets de leurs héros.
Un univers particulier
Bien présente dans le monde de l’illustration depuis son travail de fin d’études, Trois chats, en 1990, qui fut d’emblée édité au Sorbier, puis publié en Allemagne et aux États-Unis, Anne Brouillard n’a cessé d’enchanter ses lecteurs avec des albums singuliers, d’une telle beauté et d’une telle profondeur qu’ils lui valurent la reconnaissance du public et des critiques. Qu’il s’agisse du Voyage d’hiver, sélectionné en 2013, par le prix Pépites du Salon du livre de Jeunesse de Montreuil, du Grand Murmure (Milan, 1999), ce poème d’images où s’envolent les mots, du Petit Somme (Seuil jeunesse, 2014), ou encore de La Vieille Dame et les Souris (Seuil Jeunesse, 2007) qui traduit à merveille son amour des gares, des gens attablés aux terrasses pour siroter un café, du temps qui semble ne pas passer…
Cette année, Anne Brouillard est sélectionnée pour le prix Astrid Lindgren, "Nobel de la littérature jeunesse", et pour le Prix Hans Christian Andersen. Toutes les planètes semblent donc s’aligner. Cependant, au moment de nous quitter, l’heure n’est pas aux médailles, mais à l’essentielle promenade quotidienne en forêt. Qui se fera, en ce lundi pluvieux, entre chien et loup.
Rendez-vous
"La Grande Forêt"et "Les îles". Anne Brouillard dessinera en direct et ses illustrations seront rétro projetées. Entre autres... Dimanche 8 mars, 12h, Palais des Imaginaires.
En dédicace le 8 mars de 13h à 15h, stand 334.