Frédéric Beigbeder : "J’ai tellement joué avec cette réputation de fêtard, noctambule, obsédé sexuel que je ne sais plus qui je suis"
Seize heures trente dans un bel hôtel du centre de Bruxelles. Frédéric Beigbeder, chic - une cravate bleue - mais décontracté - s’interroge : est-il trop tôt pour prendre un whisky ? Et nous de nous demander : quel personnage joue-t-il ? Finalement, oui, il est trop tôt pour le single malt, alors va pour un kir.
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Publié le 07-03-2020 à 08h01 - Mis à jour le 09-03-2020 à 16h55
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Frédéric Beigbeder ressuscite Octave Parango, le temps d’une virée délirante dans Paris.
Seize heures trente dans un bel hôtel du centre de Bruxelles. Frédéric Beigbeder, chic - une cravate bleue - mais décontracté - s’interroge : est-il trop tôt pour prendre un whisky ? Et nous de nous demander : quel personnage joue-t-il ? Finalement, oui, il est trop tôt pour le single malt, alors va pour un kir. Du coin de son œil bleu, il attend que l’on dégaine la première cartouche, lui qui a déjà répondu à tellement de questions sur L’homme qui pleure de rire, titre prêté à ce livre qui, en couverture, n’affiche qu’un smiley. À la page 125 dudit livre, il écrit : "Les ennemis de l’intelligence auront gagné quand les romans auront pour titre ces petits visages à la géométrie stupide". Alors, forcément, on la tient, notre première question.
Bon, ben on est mal barrés, alors ?
On est mal, oui ! On est foutus. Ce livre marquera une date fondamentale dans l’histoire de la décadence. À partir du moment où, dans la maison qui a publié Du côté de chez Swann, on a un smiley qui se poile sur la tranche, sur la même étagère que Proust, c’est que c’est la fin du monde. Je m’attendais à ce qu’à un moment, quelqu’un me dise ‘Non, on ne peut pas faire faire ça’, mais ce n’est pas arrivé. Au contraire, on m’encourage, puisqu’on vient de m’apprendre que le livre est numéro un des ventes en France…
Ce smiley qui pleure de rire, c’est le plus envoyé dans le monde. Pourquoi à votre avis ?
C’est le premier, oui. Le deuxième étant le cœur et le troisième le baiser. Qu’est-ce que c’est que cette époque ? Pourquoi des milliards de gens ont envie de s’envoyer un type qui pleure de rire ? Pour faire croire qu’ils sont drôles ? Que tout va bien ? La couverture est mensongère : il y a un type qui pleure de rire alors que le livre est sinistre.
C’est le troisième livre d’une trilogie mettant en scène votre double, Octave Parango. Vous imaginiez-vous que ça se terminerait ainsi ?
Je me suis servi de lui chaque fois que j’en ai eu marre d’un métier. Là, j’ai été engagé il y a cinq ans pour être blagueur professionnel à la radio. Quand j’en ai eu marre, j’ai eu envie de ressusciter cet enfoiré d’Octave. C’est à ça qu’il me sert en général…
Le livre s’ouvre sur une dernière chronique, où vous n’aviez rien préparé, et qui vous a valu de vous faire virer…
En fait, je suis devenu Octave en direct. Bizarrement, j’ai constaté que ce qui les faisait marrer le plus, c’est quand je disais que je n’avais pas dormi, que j’avais passé la nuit avec des prostituées slovènes, si possible en étant drogué. Donc, j’en ai rajouté beaucoup et je suis redevenu Octave Parango sur France Inter.
Vous dites avoir voulu correspondre au personnage que le cinéma a fait de vous. Mais à la base, c’est vous qui l’avez créé. On tourne en rond, non ?
(rires) Oui, bien sûr ! J’ai tellement joué avec cette réputation de fêtard, noctambule, obsédé sexuel que je ne sais plus qui je suis. Mais ce n’est pas très grave. Aragon dit : "Quel est celui qu’on prend pour moi ?" . Celui-là m’intéresse plus que moi. Avec Octave, j’ai un déguisement bien pratique pour provoquer des réactions.
Qui a droit à Frédéric Beigbeder sans son déguisement ?
Mes enfants, sans doute. Je l’ai fait dans certains livres, comme Un roman français. Mais je serai ravi de ne plus retrouver Octave : je suis assez fatigué, ce n’est plus de mon âge.
Il faut attendre la fin du troisième livre d’une trilogie pour que vous confessiez votre timidité.
900 pages pour arriver à dire ça ! Mais vous savez, il y a des gens qui mettent dix ans de psychanalyse pour arriver à dire une phrase comme ça. (rires)
Ceci n’est pas un règlement de compte
Il y a quelque chose de paradoxal à accepter d’aller jouer les humoristes sur France Inter quand, comme Frédéric Beigbeder, on se voit toujours comme un petit garçon timide, maladroit et pas drôle. " C’est un mélange de curiosité et de masochisme, sourit-il. Au départ, on m’a engagé pour faire une critique littéraire, puis la case du jeudi, 8h55, s’est libérée et on a pensé à moi, parce que j’allais détonner. J’avais carte blanche, je pouvais dire ce qui me passait par la tête. Mais jamais on ne m’a dit que c’était un billet humoristique. Or, une fois qu’on est là, si on fait un truc sérieux, tout le monde se fait chier. Si on fait un truc engagé politiquement, on est comme les autres." Car sur France Publique - Inter rebaptisée dans le roman -, tous les humoristes sont des militants qui ont des tas de causes à défendre. Dont "Les deux Belges" auxquels " des auteurs fournissent des vannes ". Et l’on aura vite compris qui se cache derrière le pseudo de Charlotte Vandermeer, la guide scoute du rire. " Très vite, pourtant, je me suis rendu compte que je n’aurais pas d’autre choix que de faire l’humoriste, alors que ce n’est pas mon métier ", ajoute-t-il. Pour autant, Frédéric Beigbeder n’est pas amer et n’a pas envie que les fâcheries s’invitent dans une vie qu’il aspire sereine. " Je n’ai pas voulu régler des comptes, dit-il. Cette équipe qui est le cœur du réacteur des médias en France, j’ai voulu en brosser un tableau sociologique et romanesque ."
Frédéric Beigbeder, "L’homme qui pleure de rire", Grasset, 320 pp., env. 20,90 €