Christelle Dabos, de l’autre côté du miroir
Comparée à J.K. Rowling, l’autrice vient de mettre un point final à "La Passe-Miroir".
Publié le 08-03-2020 à 11h46 - Mis à jour le 11-03-2020 à 15h11
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Comparée à J.K. Rowling, l’autrice vient de mettre un point final à "La Passe-Miroir".
L’aventure que Christelle Dabos vit depuis 2013 n’a rien à envier aux péripéties de son héroïne Ophélie, qui doit passer d’une arche à l’autre et affronter de nombreux dangers, externes ou internes, afin de trouver sa véritable identité. L’autrice, née à Nice en 1980, et installée depuis quelques années à La Louvière, vient de publier La Tempête des échos, le livre 4 d’une saga fantastique et philosophique, La Passe-Miroir, qui a remporté un succès considérable, et s’est déjà vendue à cinq cent mille exemplaires et a été traduite en dix langues. Les perspectives d’une éventuelle adaptation au cinéma pourraient encore faire grimper les ventes, à l’image de l’engouement grandissant à la sortie de chaque nouveau tome.
Incroyable parcours pour un manuscrit envoyé, poussée dans le dos par sa communauté de lecteurs, au Concours du Premier roman jeunesse, organisé en 2013 par Gallimard, Télérama et RTL auquel ont participé environ mille trois cents candidats.
Christelle Dabos, qui écrivait depuis longtemps, ne souhaitait pas être publiée. Elle voulait juste partager son récit avec quelques personnes, et a trouvé son bonheur sur le site Plume d’argent, où elle postait ses chapitres. Elle n’a envoyé son texte que le dernier jour du concours, persuadée de ne pas être lue. Elle était loin d’imaginer qu’elle serait considérée comme la nouvelle J.K. Rowling, que les échanges de mail avec Gallimard jeunesse se feraient sous le sceau du plus grand secret et qu’elle devrait, pour le dernier volet, détruire chaque mail après lecture.
Nourrie d’influences
Pleine de rebondissements, nourrie d’inventions et d’influences, allant de Lewis Caroll à J.K. Rowling, en passant par La Croisée des mondes de Philip Pullman et les dessins animés de Miyazaki, cette histoire rappelle sans cesse combien les apparences sont trompeuses.
Le monde est éclaté. Dans le premier opus, Les Fiancés de l’hiver, Ophélie, malgré son physique malingre, ses lunettes et son éternelle écharpe, est fiancée de force à Thorn, fils illégitime d’une chroniqueuse et d’un dragon. L’amour pourtant sera au rendez-vous. Et la principale question consistera à se demander si Ophélie, capable de traverser les miroirs et de lire les objets avec les mains, et Thorn, doué pour se faire des ennemis, vont se retrouver après leurs aventures successives sur les différentes arches - Anima, Babel, Pôle… - de l’épopée.
Les suiveurs de Christelle Dabos sur Internet étaient tellement impatients de connaître et d’influer sur la réponse, qu’elle s’est coupée des réseaux sociaux le temps d’achever son œuvre, dont elle connaissait le dénouement depuis la fin du troisième tome, La Mémoire de Babel.
Elle est aujourd’hui sereine, vient de poser un point final à La Tempête des échos, ce tome de l’émancipation, et à environ 2 500 pages d’un récit en abîme, construit à l’aide de nombreux post-it. Mais aussi à quinze années de sa vie, durant lesquelles elle a connu les joies du succès et les affres de la maladie, ce cancer qui a nécessité une reconstruction de la mâchoire.
Un coup de cœur pour la Belgique
Discrètement assise dans une brasserie de La Louvière, elle nous attend en sirotant un jus d’orange avant, disponible et volubile, de raconter son étonnant parcours. Mais pourquoi avoir quitté le soleil du Midi pour la grisaille du Centre ? "J ’ai eu un coup de cœur pour la Belgique. Je me sentais très bien dans ma famille à Nice, dans un cocon que je n’aurais jamais quitté si je ne m’étais pas forcée un peu. Mais j’en avais assez du soleil, je ne parvenais pas à me faire des amis et je ne trouvais pas d’emploi comme bibliothécaire. J’ai découvert votre pays grâce à ma correspondante littéraire, qui m’a invitée à Écaussines. Dès que je suis arrivée ici, je me suis sentie en phase. J’apprécie beaucoup les Belges, leur dérision, leurs tournures de phrases. Les petites rues pavées, les maisons de briques et, surtout, le brouillard, tellement inspirant."
Comme si elle avait trouvé son arche, à Besonrieux, petit village proche de La Louvière. "Anima, nous dit-elle à ce propos, a été inspiré par la Wallonie." L’œuvre est dense, complexe, et aborde des questions religieuses, philosophiques - qui renvoient à Socrate ou à l’allégorie de La Caverne de Platon - et politiques, avec ce peuple privé de mémoire. "Lors d’une promenade dans le tout petit bois de Besonrieux, j’ai soudain imaginé un visage qui sortait d’un miroir, et toutes les idées se sont succédé. À cette époque, j’essayais, en vain, d’écrire un autre roman. Je me crispais de plus en plus. Alors, j’ai décidé de sortir me promener pour me détendre. En quelques instants, tout m’est apparu, avec les objets, les autres familles, le monde éclaté en morceaux… Les personnages principaux se sont imposés. J’avais l’impression que tout avait surgi d’un coup, mais avait mûri en moi depuis des années. J’ai donc décidé de lâcher la bride et, surtout, de me faire plaisir en écrivant. Par contre, j’étais effrayée à l’idée d’être publiée !"
La démarche de Christelle Dabos est très liée à l’amitié, qu’il s’agisse d’une amie niçoise qui l’a encouragée à écrire ou de sa correspondante belge, qui lui a fait découvrir les fan fictions, notamment sur le professeur Severus Rogue, dans Harry Potter dont elle est absolument fan.
Trouille et joie
"Cette amie belge me lisait, et cela me suffisait, mais lorsque mon cancer s’est déclaré, j’ai senti venir le risque de m’enfermer encore plus. J’avais déjà écrit plusieurs chapitres de La Passe-Miroir et j’ai cherché des lecteurs sur Internet. C’est comme cela que je suis tombée sur Plume d’argent."
Ce qu’elle a ressenti lorsqu’elle a reçu le mail de l’éditeur ? "Des émotions très contradictoires : une énorme poussée de trouille et une vive joie, à ma grande surprise. Puis il a fallu affronter le public. J’étais en rémission, mais je n’étais pas à l’aise avec les photos, les rencontres. J’ai dû aller à Paris pour le Salon du livre, à RTL pour une interview, etc. Finalement, j’ai survécu à cette journée, et à d’autres rencontres. Tout cela m’a aidée à casser le rapport que j’avais à mon image. Peut-être que mon cancer m’a également permis de dépasser quelque chose."
Le cancer, mais aussi l’écriture. La ressemblance entre l’autrice et son héroïne, ainsi que d’autres personnages, est troublante et l’intégralité du cycle pose la question de l’image, de la quête d’identité, de manière tellement intense qu’elle en devient vertigineuse.
La Passe-Miroir, La Tempête des échos, Livre 4, Gallimard jeunesse, 565 pp. Env. 19,27 €. Dès 12 ans.
Christelle Dabos sera à la Foire du livre le dimanche 8 mars à 11 h pour une rencontre au Studio Première organisée par Éléonore Dehonbreux. Elle sera en dédicace les 7 et 8 mars de 14 h à 17 h, chez Gallimard (Stand 310).