L’utopie et l’échec du LSD
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 09-03-2020 à 16h55 - Mis à jour le 09-03-2020 à 16h56
T.C. Boyle raconte les débuts des expériences LSD aux États-Unis autour du gourou Timothy Leary.
S’il y a bien un écrivain indiqué pour raconter la vie romanesque de Timothy Leary, le pape du LSD, c’est bien T.C. Boyle. L’écrivain américain n’a pas peur d’empoigner de vastes récits de vie comme il l’a fait avec Frank Lloyd Wright, le plus grand architecte du XXe siècle avec Le Corbusier, avec le docteur Kellog, l’inventeur des corn flakes et avec l’histoire folle du sexologue Alfred Kinsey, l’homme du rapport Kinsey. Chaque fois, il ne s’agissait pas de bâtir une biographie mais de s’emparer de la vie d’un de ses héros de l’American Way of Life pour écrire un roman sur le thème des utopies américaines du XXe siècle et leurs suites.
Dans Voir la lumière, on retrouve avec bonheur le souffle épique de tous ces grands romans de Boyle, cette cavalcade de personnages vrais ou romancés, les passions qui se transforment en incendies réels ou psychologiques. Du Boyle pur jus. Même si l’écrivain toujours si prolifique allonge souvent son récit jusqu’à nous offrir de très gros volumes de 500 pages.
Le roman basé sur des faits réels se déroule de 1962 à 1964 seulement. Timothy Leary en est l’ombre omniprésente même si le livre se concentre sur le jeune Fitz et sa femme Joanie devenus des adeptes du gourou Leary.
Beatles
Timothy Leary a alors 41 ans et enseigne la psychologie à Harvard. Dans le cadre de ses recherches, il fait essayer à un groupe de chercheurs et d’étudiants des substances hallucinogènes et leur demande de consigner leur ressenti sur papier. Il pense que ces produits peuvent aider la société, enlever les idées suicidaires, stimuler la libido, réhabiliter les criminels.
On est à l’aube du mouvement hippie. Dans le roman, on écoute le premier disque des Beatles, le poète Allen Ginsberg vient voir Tim Leary comme Aldous Huxley, l’auteur des Po rtes de l a perception , livre sur ses expériences de drogue.
La couverture psychédélique du roman de Boyle donne d’emblée le ton. On sait comment quelques années plus tard, Timothy Leary inspirera les Beatles (Come Together vient d’un slogan de Leary) et Let’s the Sunshine in, dans la comédie musicale Hair est une allusion très directe aux drogues.
Le roman de Boyle raconte les débuts de cette vague. Tim Leary a retrouvé la psilocybine, molécule tirée des champignons hallucinogènes, découverte par Sandoz en 1943, qui deviendra le LSD. Les participants-expérimentateurs planent, semblent sortir d’eux-mêmes, voient la lumière aveuglante les inonder, vivent dans leurs corps le choc des couleurs, ont des expériences sexuelles inouïes, bref, ressentent un bonheur qu’ils s’empressent de vouloir retrouver. Parfois, ils font des Bad Trips, mais ils continuent, augmentant même les doses peu à peu.
Mexique et FBI
Mais bientôt, les médias sont en alerte qui racontent des horreurs qui se dérouleraient selon eux, à la villa de Leary à Homer Street. Des enfants seraient présents à des orgies. Devant le scandale, Harvard chasse Tim Leary et ses adeptes.
Qu’à cela ne tienne, toujours flamboyant, Leary embarque son monde pour de longues vacances paradisiaques au Mexique dans un hôtel entier où ils peuvent continuer leur "paradis" de bonheur, sexe, drogue et alcool. Chassé ensuite du Mexique, ce petit monde se retrouve dans un énorme manoir prêté par deux filles richissimes, à Millbrook, au nord de New York.
Mais ce qui devait être au départ une expérience scientifique devient un monde alternatif, quasi révolutionnaire par ses mœurs, attirant des intellectuels comme Allen Ginsberg ou des snobs en quête d’aventures corsées. Flower Power et mouvement hippie naissaient.
Le roman s’arrête en 1964 à l’aube de cette contre-culture. Timothy Leary continuera à braver la bonne société et le FBI, jusqu’à être enfermé en prison.
Dans le roman, Fitz et Joanie déchantent. Leur utopie d’un monde meilleur pourrit peu à peu et leur groupe se réduit à des consommateurs de drogue. Boyle est critique sur Leary, montre l’échec de l’utopie LSD mais il a le don de la raconter avec une belle tendresse et on est séduit par ce groupe qui voulait tant voir la lumière.
Voir la lumière Roman De T.C. Boyle, traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Turle, Grasset, 493 pp. Prix env. 24 €
