Le piège de l’insatisfaction
Vous avez envie d’un roman qui claque, qui emporte, qui réjouit par le plaisir de lecture qu’il suscite ? Alors plongez sans hésiter dans La soustraction des possibles, le treizième roman de Joseph Incardona. Car ces pages de l’écrivain suisse d’origine italienne offrent une trame efficace à la mécanique précise, aux dialogues imparables, le tout saupoudré d’une dose d’humour salvateur.
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Publié le 08-04-2020 à 15h33
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Vous avez envie d’un roman qui claque, qui emporte, qui réjouit par le plaisir de lecture qu’il suscite ? Alors plongez sans hésiter dans La soustraction des possibles, le treizième roman de Joseph Incardona. Car ces pages de l’écrivain suisse d’origine italienne offrent une trame efficace à la mécanique précise, aux dialogues imparables, le tout saupoudré d’une dose d’humour salvateur.
C’est par hasard qu’Aldo, prof de tennis, a mis le doigt dans l’engrenage en effectuant des transferts d’argent liquide à bord de grosses cylindrées. Voir passer cet argent lui donne évidemment des idées : il veut sa part du magot. Avec la belle Svetlana, jeune financière prometteuse, ils pensent avoir trouvé la faille qui leur assurera un avenir doré. Oui mais voilà, si tout se passait bien, il n’y aurait ni roman, ni morale.
Vouloir plus
"C’est un fait divers qui m’a donné l’idée de ce roman", nous explique Joseph Incardona lors de son passage à Bruxelles en février dernier. "À Genève, une femme cadre qui gérait des portefeuilles prélevait de chaque transaction quelques centimes. Cela ne se voyait pas, mais elle a commencé à s’acheter une voiture, une belle montre, ce qui a alerté les services de sécurité internes. Je me suis alors demandé ce qui pousse quelqu’un à vouloir plus alors qu’il a déjà suffisamment, avec l’envie d’écrire une fresque dans un lieu et une époque donnés. Car je me suis posé la question de l’adéquation entre le territoire et l’histoire racontée. Si vous êtes dans le social, vous allez à Liège, du côté des hauts fourneaux, un peu à la Ken Loach. Genève, c’est les banques, les espions, les courtiers en céréales et le pétrole. Et si j’ai choisi les années 1989-1990, c’est pour être juste avant l’arrivée du web, avant la réforme de la fiscalité, avant le grand basculement : une époque où il y avait beaucoup de cash qui transitait entre les banques."
Comme Magritte
La soustraction des possibles est une histoire d’amour qui n’en est pas une, prévient l’auteur en préambule. Mais pas seulement. "Un peu comme Magritte : tout ce que ce roman n’est pas, c’est ce qu’il est. J’ai toujours écrit des livres comme ceux que Simenon appelait ses romans de l’homme, du tragique." Au final, c’est surtout une comédie humaine qui met en scène de fortes personnalités, surtout féminines, issues de milieux divers. "Certaines sont manipulées, d’autres manipulent, mais au fond il n’y a aucune différence de hiérarchie. Plus que l’appartenance à un genre, c’est l’appartenance à une catégorie sociale qui va déterminer les choses."

Le titre, il le doit à Michelangelo Pistoletto, artiste italien de l’Arte Povera. "Selon lui, chaque nouvelle œuvre d’art est soustraite au monde. Ce n’est pas une œuvre d’art en plus mais quelque chose en moins qu’on peut faire : je trouve intéressant de renverser ainsi la perspective. D’autant qu’en littérature, on a déjà tout tenté ou presque sur le plan formel. On peut juste trouver de nouvelles manières d’être ou des points de vue différents." Ce qui rejaillit sur ce que vivent les personnages. "Chaque acte qu’ils posent réduit leurs possibles et les enferme. Ils ne peuvent dès lors que finir dans le mur."
Secret de Polichinelle
Au passage, Joseph Incarona ne manque pas d’écorner la réputation de la Suisse et de ses habitants, qui ne sont pas plus honnêtes que les autres. Personne n’est incorruptible, admet-il en leur tendant un miroir intransigeant. Comment cela a-t-il été perçu par ses compatriotes ? "Certains, pas tous, m’ont posé la question de manière franche et m’ont permis de faire un état des lieux qui est en réalité un secret de Polichinelle. Oui, la Suisse aime être le premier de la classe. Oui, le système fonctionne assez bien grâce à l’inertie et au déni. Car la Suisse ressemble au saint-bernard, ce chien qui peut peser jusqu’à septante kilos. S’il ne veut plus marcher, il s’assied et vous ne pouvez rien y faire. Notre inertie est là - même si nous avons aussi des personnalités comme Jean Ziegler qui n’hésitent pas à dénoncer." Quant aux fraudeurs, ont-ils toujours plus d’imagination que les romanciers ? "Je pense que la réalité aura toujours un temps d’avance, je suis convaincu que la chose la plus dingue a déjà été commise. Donc ce qui compte, c’est d’en faire l’écho, de pousser les gens à réfléchir, de donner des émotions. Dès lors, on peut avoir l’impression qu’une œuvre est un peu plus grande que la vie. Écrire un roman, c’est raconter une histoire avec un style, une focale, c’est ordonner une dramaturgie, un rythme, une complexité. Alors, réalité ou pas, plus besoin de se poser la question ! Sans doute avait-on besoin de se la poser il y a un siècle, mais plus aujourd’hui..."
- Joseph Incardona | La soustraction des possibles | roman Finitude | 389 pp., env. 23,50 €. Disponible en format Kindle pour 15,99 €

EXTRAIT
"Le problème d'Aldo et Svetlana, le problème intrinsèque et structurel en quelque sorte, c'est qu'ils ont l'âme bourgeoise. Et c'est peut-être ça qu'a compris Mimi Leone quand elle les a vus s'embrasser sur ce parking, c'est le lien qu'elle fait avec ses lectures de Ramuz: car le bourgeois relève du drame. Son environnement est composé d'obligations sociales et mondaines, de besoins d'argent, de la quête d'une place à occuper ou à prendre, du besoin d'estime, d'assouvissement et de l'orgueil.
L'homme dans le monde bourgeois est en proie à l'homme.
Alors, peut-être qu'ici, dans la trame qui se tisse, leur chance, leur seule chance de grandeur, est d'élever leur drame au statu de tragédie.
Maintenant, ils ont la tête dans le guidon, un franchissement les attend; il s'agit de commencer à pédaler fort."