Quand on a bien vécu, on quitte ce monde en toute quiétude
"Se réjouir de la fin", un journal tout en délicatesse imaginé par le Suisse Adrien Gygax. Dans l’intimité d’un nonagénaire, veuf, sans enfant, qui entre dans une maison de retraite, condamné par la maladie.
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- Publié le 08-05-2020 à 10h01
- Mis à jour le 23-07-2020 à 11h53
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Se réjouir de la fin est un délicieux, tendre et délicat journal intime d'une infinie sagesse et d'une extrême délicatesse tenu, grâce à la plume imaginative du romancier suisse Adrien Gygax, par un nonagénaire qui entre dans une maison de retraite.
Se réjouit-on vraiment de la fin de quelque chose ? Oui quand celle-ci est particulièrement désagréable. Certainement aussi quand on a bien vécu et qu’on a l’impression qu’il est temps de partir.
Se réjouir de la fin n'est pas, comme suggéré en préambule, "un texte découvert dans les affaires personnelles d’un résident de maison de retraite", mais un journal entièrement imaginé par Adrien Gygax, auteur suisse, dont le premier roman Aux noces de nos petites vertus a été publié en 2017 au Cherche-Midi. Il a beaucoup lu les philosophes de la Rome antique (Sénèque, Cicéron, Lucrèce dont il cite en exergue un passage de De rerum natura) et s’est aussi inspiré, comme il s’en est ouvert à la presse, de conversations avec sa grand-mère Milise à qui, notamment, il dédie son livre. Sans oublier un passage par la Fondation Rozavère (Établissement médico-social) à Lausanne dans le cadre de son travail de consultant.
Esprit toujours vivace
Dans ce court roman de 25 chapitres (avec une table des matières), le protagoniste, veuf sans enfant, condamné par la maladie, observe, réfléchit, se souvient. D’une plume non dénuée d’humour, il porte à la première personne un regard en coin sur tout ce qui se passe autour de lui dans le bloc de béton, comme il surnomme la maison de retraite. "On croirait presque que tous ces autres vieux n’ont jamais fait que mourir, tellement ils y mettent de vérité."
Il a encore toute sa tête, c’est le moins que l’on puisse écrire de cet homme à l’esprit vivace, même si diminué physiquement. Au crépuscule de sa vie, il déborde de bon sens. Tout le monde n’aborde pas la dernière ligne droite avec autant de sagesse. C’est qu’il sait Lâcher prise ou Se détacher du matériel. Prendre un malin plaisir aussi à Regarder les autres manger avec ses comparses François et Pierre qui "eux préfèrent tourner le dos aux autres vieux".
S’il lisait encore un journal tous les jours quand il est arrivé, les choses ont changé avec la mort de Pierre, "les abonnements aux quotidiens étaient tous à son nom", alors "moi et les autres vieux, on est à la marge," écrit-il dans Ne pas se sentir concerné.
La moitié s’en ira
"On doit être une centaine dans le bloc de béton. À vivre et à mourir ici. Ça ne rate jamais, ah ça ! Cinquante par année, ce sont les chiffres." Après le décès de François, c’est avec Pierre qu’il a voulu Ouvrir du vieux vin. Pierre qui a insisté pour le goûter alors que François se suffisait à humer les effluves.
Comme tout le reste, le diariste aborde avec philosophie la déchéance physique. Récalcitrant à se déplacer dans une chaise roulante, il en voit finalement les bons côtés, comme celui d’Errer au pied d’un arbre. La douleur se faisant excessive, il veut Planer après la visite du docteur grâce à la prescription de morphine.
Quelle douce poésie Adrien Gygax, 30 ans, distille dans Aimer encore, ou Voyager avec la musique. Sa plume possède tous les atours d’une agréable mélodie qu’il faut prendre le temps d’écouter. Plus jamais on ne regardera un crépuscule de la même manière après avoir parcouru Contempler le ciel en fin de journée.
Un opus particulièrement original qui est aussi une belle leçon de fin de vie.
- Se réjouir de la fin | Adrien Gygax | Grasset | 106 pp., env. 13,50 €, version numérique 9,49 €
