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Le petit Julian ne veut pas seulement devenir une petite fille, une jeune fille, une femme… Non. Ce dont il rêve, c’est d’être la plus femme des femmes, la plus ensorceleuse des créatures, celle dont l’irrésistible chant mène les marins à leur perte. En réalité, Julian aimerait se transformer en sirène et l’annonce, sans ménagement, à sa Mamita.
Sagement assis sur la banquette du métro, tous deux lisent un livre, adossés à la vitre derrière laquelle déambulent trois élégantes. Très vite, les belles sortent du cadre et défilent, avec leurs longues chevelures et queues de poissons, devant le petit garçon, ébahi. Ce sera, pour lui, une révélation.
La mer envahit peu à peu la page pour que l’enfant y plonge et s’y libère. Il joue avec les poissons, se débarrasse de ses habits de garçon, voit ses cheveux bouclés s’allonger depuis qu’ils sont mouillés, rentre dans une folle danse dont il ressort métamorphosé, heureux et agile, poisson parmi les poissons, humain parmi les hommes, un peu l’un, un peu l’autre et surtout les deux à la fois, dans un sentiment de plénitude longtemps recherché.
Sa Mamita le sort soudain de sa rêverie pour le ramener chez elle, mais lui confirme qu’elle a, elle aussi, vu les sirènes, lorsque l’enfant la questionne. Pendant qu’elle prend son bain, Julian se déshabille à nouveau, se coiffe de fougères, se maquille les lèvres, se drape dans les tentures…
Liberté d’être
Loin de le rappeler à l’ordre, ou de laisser paraître le moindre trouble, sa grand-mère abonde dans son sens, lui offre un collier de perles et l’emmène rejoindre la parade des sirènes dans cet album sur la question du genre, joyeux et généreux, ode à la différence et à la tolérance. La liberté d’être, d’agir et de penser s’y invite en permanence, grâce à l’intelligence d’une grand-mère qui accepte son petit-fils tel qu’il est, et va à la rencontre de ses désirs au lieu d’essayer de les contrarier. Grâce également aux illustrations latinos, colorées, fantasques et ondulantes de Jessica Love, autrice, illustratrice et comédienne américaine, qui signe un premier album jeunesse remarqué pour son intelligence, son féminisme, mais aussi pour son inhabituelle tonalité, les notes et parfums cubains qui semblent en émaner.
Là-bas
Si pour grandir et se construire, mieux vaut être ou se sentir soi, cela ne suffit pas toujours. Encore faut-il, en effet, être chez soi, ce qui n’implique pas seulement un voyage intérieur, mais également, selon les circonstances, un long et dangereux périple. Comme ce fut le cas pour ce petit garçon, obligé de traverser la mer pour trouver un nouveau chez lui.
Seul face à l’immensité de l’océan, il jette un dernier regard vers le pays de son enfance. Dans son sac, il emporte un livre, une gourde, une couverture, et dans une vieille tasse, une poignée de terre en souvenir d’espaces et d’instants de jeux.
Parfois tranquille, parfois mouvementée, la mer le berce ou se met en colère. Toujours accroché à l’espoir, même lorsque les éléments se déchaînent, l’enfant scrute l’horizon pour y trouver un point d’ancrage, un lieu rêvé, une nouvelle terre d’accueil. Pour tenir le coup, il serre sa tasse dans ses mains, se rappelle les appels de sa mère pour le goûter et se souvient de la fragilité des acquis et des certitudes.
Un beau jour, il voit germer une graine dans sa tasse. L’arbre grandit et lui permet, depuis sa cime, de continuer à chercher un point à l’horizon. Jusqu’à ce qu’un endroit trouve grâce à ses yeux. C’est là qu’il rencontrera la fille au coquetier cassé et pourra, qui sait ?, recommencer une nouvelle vie.
Empreint de douceur et de solitude, ce premier album de Rebecca Young, remarquablement illustré par Matt Ottley, parle autrement des réfugiés et des sans-papiers, en liant l’exil à l’aventure, la peur à l’espoir, l’abandon au renouveau. Et avec en toile de fond, comme un air de robinsonnade, ni trop grave, ni trop léger.
- Julian est une sirène | Jessica Love | Pastel, 38 pp., env. 13 €. Dès 6 ans.

Là-bas | Rebecca Young et Matt Ottley | Kaléidoscope, 34 pp., env. 13 €. Dès 5 ans.
