"Les insulés": comment la Corse a accueilli des personnalités contraintes à l'exil
Faut-il parler de déportés ? Ou de déplacés ? Antoine Hatzenberger préfère le terme d’insulés, qui est le titre de son livre.
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Publié le 10-08-2020 à 13h45 - Mis à jour le 10-08-2020 à 14h26
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Dans cet ouvrage paru chez l’éditeur parisien Riveneuve, l’auteur raconte comment la Corse a accueilli dans son histoire bon nombre de personnalités qui ont été mises provisoirement à l’écart.
L’un des plus connus est Sénèque, exilé en Corse en l’an 41 par l’empereur Claude sous une accusation d’adultère. Il décrit un "rocher aride et broussailleux" qui "a souvent changé d’habitants". Il y restera sept ans, selon la légende, dans une tour du cap Corse, qui se dresse encore du côté de Luri.
L’île de Beauté fut une terre de bagnes, de "colonies agricoles" selon l’État français, mais aussi une terre où la France isolait les éléments récalcitrants, nationalistes, de ses colonies d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. Elle accueillit à partir de 1871 plusieurs centaines de rebelles kabyles d’Algérie à Calvi toujours, dans une semi-liberté. Ahmed Balafrej, fondateur du parti de l’Istliqal qui mena le Maroc à l’indépendance en 1956, est exilé en Corse en mai 1944.
Mais l’auteur s’intéresse surtout à l’exil en 1953 de Sidi Mohammed Ben Youssef, le futur roi du Maroc Mohammed V, qui a réclamé l’indépendance de la colonie dès 1947. C’est le déclencheur de ce livre : dans les affaires de son grand-père décédé, l’auteur a retrouvé des photos du sultan et de son entourage en Corse. Son grand-père, un policier alsacien, avait été déployé sur l’île pour assurer la protection de l’exilé. "Des clichés de touristes, résume Antoine Hatzenberger. Les policiers alsaciens étaient à la fois des gardiens et des gardes du corps. Certains Marocains voulaient les ramener au pays. Des colos radicaux voulaient les faire disparaître."
S’ensuit une description pittoresque de cette assignation à résidence, avec harem, parties de pétanque et voitures américaines. Le sultan fut d’abord hébergé à l’hôtel Le Mouflon d’Or à Zonza, aux portes de l’actuel parc national corse. Puis il fut descendu jusqu’à l’hôtel Napoléon Bonaparte de l’Île-Rousse, à deux pas de la plage.
L’intérêt du livre est qu’il explore un épisode méconnu de l’histoire du Maroc et de la France. L’exil corse de Sidi Mohammed est à peine évoqué dans l’histoire officielle marocaine, qui ne retiendra que sa déportation en 1954 à Madagascar. En plongeant dans les archives du Quai d’Orsay et dans les notes déclassifiées depuis 2011 du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), l’auteur détaille les conditions du séjour.
On apprend ainsi que le sultan de l’empire chérifien et son fils aîné sont arrivés en pyjama sous leur djellaba tant la déportation fut expédiée par les Français. Plus philosophe qu’historien, Antoine Hatzenberger s’attarde de façon romanesque sur ces déportations d’une France qui perdait progressivement la main au Maghreb. Il s’interroge sur le sens de l’exil, cette relegatio in insulam qu’avait subie Sénèque.
Malheureusement, la structuration du livre est assez décousue, se perd dans une autre histoire d’exil, celle du Tunisien Habib Bourguiba et, pour peu qu’on n’ait pas un solide bagage d’historien, on referme le livre avec l’impression que tout n’a pas été dit ou expliqué. Bref, un beau sujet, bien entamé mais inachevé ici.
"Les Insulés, exilés politiques en Corse", Éditions Riveneuve, 2020, 152 p., environ 16 euros.