Les cimes magnifiques d’Erri De Luca
Superbe nouveau livre d’Erri De Luca qui évoque la lutte nécessaire, la fraternité et sa passion pour la montagne.
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- Publié le 21-08-2020 à 15h16
- Mis à jour le 02-10-2020 à 16h22
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Ce magnifique roman apparaît comme un complément à son livre Le plus et le moins dans lequel Erri De Luca parcourait sa vie et ses luttes, avec une écriture d’une force et d’une poésie exceptionnelles. Il y évoquait la jeunesse "d’ impatience" de 1968, "L’ insomnie de notre gé n ération", quand ce n’était pas le "march é unique" qui importait mais bien "la jeunesse unique", les luttes de ce qu’il appelle "les années de cuivre" (et non pas de plomb) car ces années étaient parcourues d’un même "essaim" de luttes sociales. Cette jeunesse politique affrontait la prison au mépris de tout intérêt privé. " En l ’évoquant dans des temps aussi opposé s, o ù seul compte l ’int é r êt individuel et o ù l’ on est é valu é en fonction du pouvoir d ’ achat, on mesure la crevasse qui sépare une Italie de l ’ autre." C’est auprès des ouvriers qu’il apprend alors la fraternité. Ce récit servait de contrepoint au procès inique que la Justice italienne lui fit "pour incitation à un sabotage" sur la ligne TGV du val de Suse.
La montagne
Dans Impossible, il raconte autrement cette même histoire. Le roman se déroule dans cette montagne qu’il pratique avec passion. Il s’en explique à nouveau. La montagne c’est "tourner le dos à tout, prendre de la distance, rejeter le monde entier derrière soi, […], un effort béni par l’inutile, […] c’est la beauté de la surface terrestre qui touche sa limite vers le haut, vers l’air."
Un homme, ancien révolutionnaire d’extrême gauche, double d’Erri De Luca, aime y marcher seul. Un jour, il découvre au pied du rocher un corps mort, tombé d’une vire. La police fait vite le lien entre les deux hommes. Celui qui est tombé fut jadis très proche du marcheur, dans leur enfance et leurs luttes politiques communes. Ce frère de sang et de révolution l’a trahi, choisissant d’être un repenti, dénonçant ses amis et les condamnant à de longues peines de prison.
Cette chute est un crime déguisé, une vengeance comme le pense le jeune juge chargé de l’enquête, et ne peut être un accident fortuit, tant la coïncidence est impossible. Mais explique De Luca : "Impossible c’est la définition d’un événement jusqu’au moment où il se produit".
Le roman est le récit de ce face-à-face entre un enquêteur très jeune, ignorant tout de ces luttes des années 60 et 70, et ce double d’Erri De Luca.
La fraternité
Magnifique dialogue qui vite échappe au polar pour devenir philosophique, politique. Sur le sens de l’engagement, la trahison, la fraternité, la justice ignorante. Le suspect ne reconnaît rien de ce crime présumé, ne cède rien non plus de ses engagements passés pour lesquels il a purgé sa peine. Il ne craint rien expliquant que "ma liberté n’est pas à la portée de vos mesures de restriction". Et il refuse d’être jugé par un homme qui ne connaît rien de ces luttes passées. "C’est le parfait objectif du pouvoir, arriver au plus haut degré d’incompétence et décider de tout".
Peu à peu les deux hommes vont tenter de se comprendre. Le suspect explique qu’il place la fraternité au-dessus de l’égalité et de la liberté car elle est indispensable à leur éclosion, au-dessus aussi d’une Justice déconnectée. La fraternité est "le sentiment qui réunit les fibres d’une communauté, en renforce l’union et produit l’énergie afin de se battre pour la liberté et l’égalité."
À lire ce dialogue, mis en page volontairement dans une dactylographie de rapport de police, on se sent plus humain. On partage son constat de "l’ incomp étence des pouvoirs constitué s ".
Erri De Luca mêle, imbriquées dans le texte, des très belles lettres d’amour envoyées depuis la prison où il a été jeté, à son "Ammoremio" comme il l’appelle. Il lui explique que "durant les années révolutionnaires, il existait plus de complicités que d’amours. Ensuite, il était évident que je ne pouvais offrir un avenir décent à une femme. Tu es venue et ma réticence et mon incertitude se sont évanouies. Tu as bouleversé mon univers et les formules par lesquelles je justifiais cette absence. Ta présence a mis les jours en file indienne, en route vers les rendez-vous."
Impossible Roman De Erri De Luca, traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, 172 pp. Prix env. 16,50 €, version numérique 11,99 €
