Les folles aventures de Parker, iconoclaste camionneur argentin
Le monde du bout du monde sert de décor à "Patagonie route 203", premier roman d’Eduardo Fernando Varela. Argentin de 60 ans, l'auteur vit entre Buenos Aires où il écrit des scénarios pour le cinéma et la télévision, et Venise, où il vend des cartes anciennes. Varela signe un récit jubilatoire dont la traduction française par François Gaudry rend bien la truculence.
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Publié le 26-08-2020 à 12h54
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Ah, les grands espaces de Patagonie ! Terre hostile mais tellement belle pour qui l’a déjà foulée et y est resté attaché à jamais. "Le monde du bout du monde", comme ses habitants se plaisent à l’appeler. C’est sous ces latitudes extrêmes qu’Eduardo Fernando Varela, dont Patagonie route 203 est le premier roman, a décidé de faire évoluer son héros, Parker. Celui-ci entame sa deuxième vie comme chauffeur d’un camion appartenant à un certain Constanzo pour lequel il effectue des trafics louches. En façade, il s’agit pourtant d’un chargement de fruits à transporter depuis les vallées fertiles jusqu’aux ports lointains de l’océan Atlantique.
Seul dans sa cabine, il s’imagine dans une capsule spatiale. Sur le siège passager, un rutilant saxophone, un des rares vestiges qu’il a pu sauver de sa vie d’avant. Il voyage des heures durant, de jour comme de nuit, il n’a plus d’horaire. Quand la fatigue se fait sentir, il décharge de sa remorque ce qui, un jour, a été sa maison. "Une table en bois, des chaises, un canapé au cuir râpé, un vieux frigo, un lampadaire, un grand tapis, un placard, un lit avec son matelas et une table de nuit avec sa lampe de chevet." Et le voilà installé sous la voûte céleste.
Suspense prenant
De temps en temps, cet homme au caractère rude, réservé et misanthrope, croise un être humain. Ainsi de celui surnommé "le journaliste", qui le retrouvera régulièrement - on se demande bien comment - au milieu de ces steppes désolées. Ses arrivées, toujours par surprise, sont l’occasion pour Varela de déployer quelques paragraphes d’un suspense prenant.
Ainsi de la tenancière d’un Jeu de massacre à la fête foraine, qui l’émeut et le trouble. Ici, Varela offre des pages d’une délicieuse sensualité. Prénommée Maytén, la jeune femme ne reste, elle non plus, pas insensible au charme de Parker. Dans le train fantôme, ils s’embrassent avec une passion fiévreuse. Une histoire d’amour comme les romans en fournissent des dizaines. Ce serait compter sans la plume de Varela qui use de belles métaphores pour décrire un homme qui perd la tête. "Elle avait déplacé l’axe de son orbite, altéré la précision de ses instruments de navigation, dévié sa trajectoire."
Où que Parker se présente, on le prend pour un Portègne (originaire de Buenos Aires), ce qui a le don de l’exaspérer et donne lieu à des reparties jubilatoires prenant la forme de joutes verbales. Varela s’éclate dans des dialogues piquants, joue avec les quiproquos et amuse le lecteur avec l’humour décalé des rares personnages qui peuplent son roman. Notamment Bruno, le mari de Maytén, ou Fredy et Eber, des Boliviens au service du patron forain. Sans parler d’une bande de néonazis qui traîne dans le coin.
Truculence du récit
Quand Parker la libère du joug de son mari violent, Maytén se demande quand même si, en s’enfuyant avec lui, elle n’a pas commis "la plus grande absurdité de son existence". Dans un premier temps, elle prend goût à sa manière originale de vivre, s’habituant même à son existence routinière. Mais elle rêve à la ville. Que ne ferait-il pas par amour ? Sauf que rien ne va se passer comme prévu.
Sous un titre espagnol plus évocateur (La marca del viento - La trace du vent), Patagonie route 203 laisse une belle place aux éléments - qui font partie intégrante de la géographie du lieu.
La quatrième de couverture présente Eduardo Fernando Varela, l’auteur de Patagonie route 203, comme vivant entre Buenos Aires où il écrit des scénarios pour le cinéma et la télévision, et Venise, où il vend des cartes anciennes. À 60 ans, il signe un roman jubilatoire dont la traduction française par François Gaudry rend bien la truculence du récit.
- *** Patagonie route 203 (La marca del viento) | Eduardo Fernando Varela, traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry | Métailié, 358 pp. env. 22,50 €, version numérique 14,99 €
EXTRAIT "Il s'était résigné à passer les dernières années en solitaire dans ces plaines immenses, en croisant de temps à autre des fantômes qui suivaient comme lui des itinéraires incertains. Il aimait sa solitude plus que tout et n'éprouvait pas le besoin de la partager, mais quelque chose de différent était survenu, plus qu'un amour illusoire, c'était une obsession. Il voulait retrouver Maytén, pour vérifier la réalité de cette scène dans le Train fantôme; absurde par moments, dont il ne se rappelait que quelques détails. Et si tout cela n'avait été qu'un de ces rêves hallucinés qu'il faisait souvent en dormant en plein air, sous une simple couverture et le poids du firmament?"