Deborah Levy au temps du retour sur sa vie
Parution simultanée de deux titres autobiographiques de l’écrivaine anglaise.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/aebe8766-11c0-4532-8620-bf668e6358ce.png)
Publié le 27-08-2020 à 16h56
:focal(1275x855:1285x845)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/FVJWTVZMPFFWNDOCS5ZQ3V2YY4.jpg)
Living autobiography : c’est ainsi que Deborah Levy (née en 1959) a intitulé la trilogie autobiographique dont Ce que je ne veux pas savoir (Things I Don’t Want to Know, 2013) et Le coût de la vie (The Cost of Living, 2018) constituent les deux premiers volets - le dernier, Real Estate, est annoncé en anglais pour avril 2021. Dans le premier, la dramaturge, poétesse et romancière anglaise se penche sur son enfance passée en Afrique du Sud, où elle est née.
Lorsqu’elle s’est retrouvée en larmes dans un escalator, Deborah Levy a compris qu’une pause s’imposait. C’est à Majorque qu’elle décide de poser ses valises, dans une modeste pension qu’elle connaît bien. La voilà dans les pas de George Sand (qui y séjourna l’hiver 1838-1839 avec son amant, Frédéric Chopin) et la compagnie des mots de Marguerite Duras et de Simone de Beauvoir. Avant que sa mémoire ne s’anime et qu’elle revienne à Johannesbourg puis à Durban, qu’elle redonne vie à ses premiers élans de rebelle, qu’elle évoque la longue absence de son père, membre de l’ANC, qui a passé quatre années derrière les barreaux.
À voix haute
"N’oublie pas de dire ce que tu penses à voix haute et pas juste dans ta tête." Ces mots glissés par son père dans une de ses lettres furent précieux pour celle qui, malgré son jeune âge, pose sur les êtres et les relations qu’ils entretiennent un regard lucide. C’est aussi un encouragement à l’expression, chez une femme en devenir qui ignore encore que l’écriture sera un chemin semé d’obstacles. C’est enfin une invitation au courage pour "assumer ses désirs" et "être dans le monde plutôt que de le laisser nous abattre".
Deborah a quinze ans lorsque sa famille arrive en Angleterre. L’acclimatation est délicate, ses parents se séparent. Mais ce pays si différent devient chaque jour un peu plus le sien.
Prendre le large
Après ce premier tome où elle fait l’hypothèse que "ce que nous ne voulons pas savoir est ce que nous savons de toute façon et refusons de regarder en face", on la retrouve alors qu’elle a cinquante ans. Son mariage est un échec, elle décide de prendre le large et s’installe dans un appartement inconfortable qui a l’avantage (il se situe au sixième étage) de lui offrir une vue imprenable sur la nuit et de rendre les étoiles si proches. Elle n’a pas d’endroit où travailler jusqu’à ce qu’une amie lui propose le cabanon où écrivait son défunt mari. Parce que Virginia Woolf a décidément encore raison - une femme ne peut écrire si elle ne jouit pas d’"un lieu à soi" -, elle accepte. "C’est là que j’ai commencé à écrire à la première personne, à recourir à un Je qui m’est proche sans être moi pour autant."
Liberté
"Pour moi, il n’y aura pas de fin au deuil de ce vieux désir de vivre un amour durable qui ne réduirait pas ses personnages principaux à moins que ce qu’ils sont." Elle sait ce qu’elle a perdu, elle découvre peu à peu ce qu’elle a gagné. Explorant sa liberté nouvellement acquise, Deborah Levy en pointe les bonheurs comme les aigreurs. Regard des autres, prescrits tenaces du patriarcat, factures urgentes à régler : son quotidien de femme écrivain demeure une lutte, qu’elle détaille sans verser dans l’apitoiement ni l’analyse. En énonçant les choses telles qu’elles sont, elle donne à la réalité son ample relief. "La liberté n’est jamais libre. Quiconque s’est battu pour être libre sait ce qu’il en coûte."
Avec ces deux textes vifs à l’écriture limpide, Deborah Levy pose un nouveau jalon pour la pensée féministe. Sans être frontalement engagés, ils examinent avec acuité la maternité, l’amour, la féminité, la solitude, l’oppression des femmes, et dessinent le chemin d’une vie qui, sous nos yeux, devient parcours d’écriture - les deux étant ici inextricablement liés.
- Deborah Levy | Ce que je ne veux pas savoir | récit | traduit de l’anglais par Céline Leroy | Éd. du Sous-Sol | 144 pp., env. 16,50 €, version numérique 11,99 €

Deborah Levy | Le coût de la vie | récit | traduit de l’anglais par Céline Leroy | Éd. du Sous-Sol | 160 pp., env. 16,50 €, version numérique 11,99 €

EXTRAIT
"Non, je ne connaissais pas tant de femmes désireuses de réveiller le fantôme de la féminité. Qu'est-ce qu'un fantôme, de toute façon ? Le fantôme de la féminité est une illusion, un mirage, une hallucination collective. C'est un personnage retors à jouer et un rôle (sacrifice, endurance, souffrance joyeuse) qui a rendu certaines femmes folles. Ce n'était pas une histoire que j'avais envie d'entendre encore une fois."