L’intimité oui, le sexe non
Alice Ferney scrute avec acuité les problèmes et les bénéfices liés à la gestation par autrui.
Publié le 27-08-2020 à 16h02 - Mis à jour le 27-08-2020 à 16h03
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Il voulait un enfant. Elle aussi, mais ayant déjà un petit garçon, elle ne le voulait pas tout de suite. Il s’est fait insistant. Elle a cédé et a perdu la vie en la donnant à la petite fille qu’elle n’aura jamais connue. Atterré, il culpabilise. La femme qu’il adorait est morte à cause de lui.
L’argument est simple qui ouvre le roman infiniment plus complexe d’Alice Ferney. L’intimité est celle qui se noue à l’intérieur d’un couple. Elle est celle du corps et de l’esprit qui se rejoignent dans l’acte sexuel où l’homme donne ce que la femme reçoit dans un partage consenti. Ou refuse dans une résistance à ce qu’elle considère comme une emprise sur sa personne. Redoutant d’y perdre son intégrité ou son indépendance, cette farouche libertaire ne veut pas se soumettre à un échange pourtant inscrit dans la nature. Autour de quelques personnages exemplaires, le livre fait s’affronter la relation amoureuse et la liberté individuelle. Le sexe, la famille, le bonheur personnel, les fausses croyances s’y trouvent sondés dans le contexte des bouleversements techniques, sociaux et moraux de nos sociétés.
Ambitieux, le projet est dans l’air du temps et des questions qui s’y posent. On peut désormais être parents du même sexe. On peut être mère en déléguant à une autre femme la gestation de son enfant. On peut choisir la couleur des yeux ou des cheveux de sa future progéniture. Les mots PMA et GPA n’ont plus de secrets pour personne… Et surtout pas pour Alice Ferney qui les décortique à travers les conversations multiples et contradictoires entre ses personnages qu’elle pousse à bout de leurs arguments autour de ces questions.
Asexuelle !
Veuf avec deux enfants, Alexandre se confie volontiers à sa voisine Sandra, jeune femme dynamique, bienveillante et joyeuse mais qui, farouchement attachée à son indépendance lui conseille de se référer à Internet s’il veut refaire sa vie. Alba le séduit. Elle est belle, déterminée, cultivée. Tolérant et respectueux de ses pudeurs, il est tout de même interloqué lorsqu’elle lui déclare, l’ayant épousé, être "asexuelle ". L’intimité oui. Mais pas d’accomplissement sexuel. Elle veut toutefois une petite fille. À elle.
Sur ce terreau, Alice Ferney explore avec ouverture et détermination les recherches et expérimentations dans un monde qui ne se refuse plus rien. Si elle rejoint des thèmes abordés dès ses premiers romans - la maternité, la relation amoureuse, les points de vue masculin et féminin -, elle les insère dans des interrogations qui font l’actualité - particulièrement en France - de nos sociétés. Rigoureusement documentée, elle parcourt, jusqu’à la satiété parfois, les innovations techniques avec leurs bénéfices et leurs menaces. Elle oppose plus particulièrement dans son récit le bébé fabriqué par autrui sans nécessité organique et celui conçu naturellement dans un échange amoureux harmonieux. Son point de vue sur les mères porteuses relève de son féminisme, sensible et attentif à l’exploitation des faibles. Si elle indique ses préférences en fin de livre, toutes les questions ne sont pas résolues pour autant. Les conclusions sont laissées au lecteur. Il faut la lire. Son roman mérite que l’on s’y attarde.
L’intimité Roman De Alice Ferney, Actes Sud, 368 pp. Prix env. 22€, version numérique 16,99 €