Entre les cow-boys et les indiens, Isabelle Carré se place du côté des plus vulnérables
"Les rêveurs, son premier roman fut une agréable surprise. Isabelle Carré revient avec "Du côté des Indiens". Où il est question de harcèlement, mais pas seulement. Quant à l'interaction entre les quatre personnages de son roman, elle est quelque peu poussive.
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Publié le 11-09-2020 à 13h05 - Mis à jour le 24-07-2021 à 19h11
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Isabelle Carré nous avait agréablement surpris, en 2018, avec Les rêveurs. L’actrice française signait un premier roman sensible, inspiré de son histoire familiale hors normes et habité d’importantes questions de société comme l’avortement ou l’identité sexuelle… Une plume était née, on pouvait aisément se douter - et souhaiter - qu’un autre ouvrage suivrait.
Voici donc Du côté des Indiens où, en postface, l’autrice écrit : "Pardon à Doan Bui si ma réponse s’est fait attendre. Deux ans, c’est bien long… mais c’est le temps qu’il m’a fallu pour écrire ce livre." En page 90, on apprend que Doan Bui est journaliste à L’Obs. Au moment où éclate l’affaire Weinstein, elle sollicite Isabelle Carré sur le harcèlement. L’actrice hésite, "C’est si difficile de le faire", lui écrit-elle par texto. Elle ne donnera plus suite à l’échange quand la journaliste la relancera.
Abus faits aux femmes
On est donc invité à lire Du côté des Indiens comme une réponse aux abus faits aux femmes (et plus particulièrement à une actrice) et cette lancinante question : "Pourquoi n’avoir rien dit ?". Avant d’arriver à la cinquantaine de pages abordant ce sujet, Isabelle Carré utilise le personnage d’un enfant, Ziad, pour évoquer la fin de l’insouciance. À 10 ans, il se rend compte qu’avant de rentrer dans son foyer, son père fait un crochet chez la voisine.
Cette même voisine, Muriel, qui, à 20 ans, tournait son premier et dernier rôle - abusée qu’elle sera par le réalisateur. Quand elle aborde le cinéma, Isabelle Carré sait de quoi elle parle et le fait très bien. S’inspire-t-elle de sa propre expérience pour alimenter ce qui est arrivé à Muriel ? Il y a un pas que nous ne franchirons pas.
Mais en filigrane, l’autrice explore aussi de (trop) nombreuses thématiques. Telles, Bertrand, ce père qui fait un AVC et pour lequel Ziad va se donner corps et âme afin de le faire revenir à lui (grâce… au cinéma), ou encore Anne, la femme trompée, qui s’empare d’un couteau et se dirige vers le 5e étage où réside Muriel. Mais rien ne se passe comme prévu. Isabelle Carré lui fait jouer un rôle qui évolue du suspense au drame en passant par le boulevard.
On voudra retenir de ce roman quelques jolies fulgurances. Ainsi de ce retournement de situation où Anne, toujours elle, échoue dans un dancing et est emmenée dans les toilettes par un type à l’allure de cow-boy. Après avoir repris le contrôle de la situation, c’est finalement elle qui lui donne des ordres. Une scène jouissive qu’on ne croise que très rarement dans les livres ou les films et encore moins dans la vraie vie !
Quelque peu resserrée, chacune des destinées de ces personnages aurait pu faire l’objet d’une nouvelle. Avouons-le, on ne comprend pas très bien leur systémique dans un roman qui, à force de trop embrasser, finit par mal étreindre.
- * Du côté des Indiens | Isabelle Carré |Grasset, 345 pp., env. 20,90 €, version numérique 15,99 €
EXTRAIT "Muriel avançait ses pions discrètement, mais avec grâce. Au fil des jours, elle s'aperçut que dès qu'elle jouait, elle oubliait ses peurs et ses angoisses, plus rien ne l'encombrait, elle ne doutait plus de sa légitimité. Avait-elle le droit de faire partie de leur monde, d'être là, sur le plateau, au milieu de tous ces artistes, décorateurs, chef opérateur, costumiers...? Peu importe, ces questions ne la concernaient plus désormais. Elle succombait à un charme, la délicieuse impression d'être une autre, d'être loin, plus loin qu'elle ne l'avait jamais été. Dans cette danse entraînante, à laquelle il était si bon de s'abandonner, l'histoire se déroulait au fur et à mesure, et la portait dans ses bras, des bras puissants, délicats. Mais cela, bien sûr, c'était avant. Avant que tout ne bascule."